Océane

TW : drogue, suicide. CW racisme.

Le mythe de læ « power user » me semble en premier lieu relever d'une tentative de construire un imaginaire concurrent à celui d'entreprises comme Apple. Cet imaginaire se fait sur la base aliénante du marketing, et donc d'une activité (ici, utiliser une machine) pour être vu·e en train de faire cette activité. Il se construit par ailleurs autour des oppositions entre féminité et masculinité, communautarisme et individualisme, et paradis et enfer. L'imaginaire produit par Apple est celui d'un étudiant excellent avec un MacBook ou d'une étudiante créative en extérieur avec un iPad, ou d'une personne racisée avec un iPhone, dans des représentations claires et lumineuses. Ces personnes – lorsqu'elles sont blanches – sont mises en scène comme des « power users » : des artistes, des scientifiques, des étudiant·es brillant·es, etc. À l'inverse, l'imaginaire concurrent d'un·e « power user » dans les communautés Unix est celui, hollywoodien, d'un pirate informatique, masculin, rugueux voire directement toxique, exploitant en tant qu'autodidacte des compétences professionnelles pour automatiser certaines tâches et faire donc de son ordinateur un usage qui dépasse l'entendement (image néolibérale de l'auto-conception). S'oppose alors à des images angéliques (et à celle, plus subtile, de l'élection des enfants prédestinés à la naissance par le système éducatif, car « biens nés », de bonnes familles, à travers leur entrée dans de grandes écoles ou dans des universités prestigieuses, équivalent moderne du mythe de la prédestination calviniste) un imaginaire infernal, l'obscurité, le rouge, et le soufre souterrains étant remplacés par l'obscurité, le vert, et les substances (drogues, insuline, hormones de féminisation du corps…) pouvant être prises via des seringues, sous la forme d'une récupération spectaculaire (Debord, 1967) de la dystopie par la dystopie contre laquelle le courant cyberpunk nous mettait en garde.

En tant que production d'un imaginaire infernal et hollywoodien concurrent à celui, paradisiaque et calviniste, de l'entreprise Apple, le mythe de læ « power user » est d'ores-et-déjà basé sur une idée chrétienne de souffrance performative, voire de damnation. Par ailleurs, comme le marketing d'Apple montre des utilisataires en lien avec leurs communautés, disposant d'une forte intégration dans des relations de solidarité et d'interdépendance, à la première opposition Paradis/Enfer se superpose celle entre communauté et individualisme/isolement (le sacré pouvant notamment être analysé comme la solidarité inconditionnelle d'une société envers certains de ses membres et donc être mis en lien avec l'amour inconditionnel de ses parents, que l'on imagine fortement doté·es en capital).

Le terme en lui-même, « power user », renvoie à l'idée d'utiliser les ordinateurs pour gagner du pouvoir. Le concept bourdieusien de capital peut donc être pertinent pour analyser cette image.

Selon Bourdieu, les groupes sociaux sont distribués dans un espace tridimensionnel : les trois dimensions sont respectivement le niveau global de capital, la structure de ce capital entre capital économique et capital culturel, et les trajectoires (montantes/descendantes) des membres de ces groupes sociaux. Selon le contexte, certaines professions peuvent être en déclin et leurs membres peuvent donc être en déclin, ou convertir une partie de leur capital pour se déplacer vers des groupes sociaux (de niveau de capital global généralement équivalent) en ascension ou du moins stabilisés (Bourdieu, 1979).

Le capital social permet d'obtenir le plein rendement des titres et des diplômes, et dépend lui-même de la maîtrise du capital culturel, qui permet de séparer les « mondains », « de bonne famille », des « autodidactes », ou « tard-venus ». Le capital symbolique renvoie enfin au prestige d'une famille, d'un nom, d'un titre scolaire, etc.

Selon Bourdieu, les champs sont des espaces dont les membres sont en compétition pour l'accès à des ressources et donc pour la reproduction de leur capital. Autrement dit, les champs économiques (dont font partie les grands patrons) permettent la reproduction du capital économique (et donc l'appropriation de ressources économiques) tandis que les champs culturels (dont font partie les professeurs d'université) permettent la reproduction du capital culturel (et donc son partage). Ces deux types de champs sont marqués par une compétition pour l'accès au capital symbolique et donc pour une meilleure reproduction de son capital (par exemple, via des titres de noblesse pour les milliardaires, ou via des postes disposant de financements importants, comme l'École normale supérieure, pour les professeurs).

Il me semble donc que l'internet fournirait des affordances permettant davantage la reproduction de certaines formes de capital : le milieu du « web 3 », des NFT et des cryptomonnaies, serait ainsi un milieu votant majoritairement à droite, car fournissant avant tout des affordances pour la reproduction du capital économique. À l'inverse, les communs (et donc la conception de l'internet) serait un milieu votant majoritairement à gauche, car fournissant d'abord des affordances pour la reproduction (et donc le partage) du capital culturel : ce serait le cas, par exemple, de l'IETF, dont les spécifications sont littéralement des « requêtes pour des commentaires », et dont le préambule en encourage le partage.

Nous pouvons ainsi considérer que l'internet ne fournirait pas vraiment d'affordances économiques, qu'il serait surtout conçu pour collaborer et pour socialiser, pas pour concentrer et pour s'accaparer des ressources, et qu'il serait ainsi hostile aux DRMs, aux brevets logiciels, etc. Par ailleurs, l'internet ne fournit pas vraiment d'affordances symboliques : il ne permet pas d'obtenir un capital symbolique déconnecté du monde réel. Contrairement à ce que vend la présentation d'Oh my ZSH, personne ne vous prendra pour un génie en voyant les logiciels que vous utilisez ; vous pourriez capter l'intérêt de quelqu'un en lui faisant savoir que vous êtes ingénieur·e, et vous pourriez être le sujet d'une sorte d'admiration en lui disant être étudiant·e à l'ENS… Mais il s'agirait alors de capital symbolique bien matérialisé, dans des titres et dans des locaux souvent bien antérieurs à l'internet1.

Ainsi le mythe de læ « power user » est-il un imaginaire hollywoodien de capital symbolique souterrain, parallèle voire concurrent au monde réel : nous avons nos propres communautés de hackers, souvent magnifiées voire mythifiées, et pouvant en réalité tolérer en leur sein des violeurs comme Jacob Appelbaum, voire des pédocriminels.

Renvoyant par ailleurs à un usage des ordinateurs basé sur des compétences professionnelles en informatique, et l'état de l'art avançant (les logiciels libres permettent à des utilisataires ordinaires ce qui était auparavant réservé à un groupe social élitiste et relativement peu solidaire), le mythe de læ /power user/ semble donc être une croyance réactionnaire puisqu'il s'oppose à ce qu'une interface graphique permette à, mettons, un·e géographe de collaborer avec git, /le/ standard libre de système de contrôle de versions décentralisé, car c'était auparavant le privilège du « statut » auquel ses croyant·es aspiraient, et donc, imaginent-iels, la source du capital symbolique qui leur était promis (croyance, donc, en l'imaginaire hollywoodien que l'on tente en même temps de produire).

C'est aussi un mythe contre le mode de communication dominant en ligne, les institutions « socio-capitalistes » (ISC) : ces institutions sont fondées sur la manipulation et la maltraitance des improductifs, assumée par l'idéologie libertarienne. Il ne s'agit alors que d'une culture de l'excuse : les ayants droit de ces institutions savent que leurs rentes dépendent du maintien des improductifs dans l'improductivité, que cette maltraitance est donc injuste (même dans le cadre où la maltraitance des improductifs « naturels » serait juste). Les ISC sont donc un facteur parmi d'autres de l'improductivité que selon leurs ayants droit justifierait la maltraitance de leurs victimes.

Agir, c'est surmonter une contrainte : la frustration crée du stress, et ce stress nous pousse à agir. Lorsque l'on a surmonté une contrainte, on est récompensé·e, on se sent capable, et notamment de s'autodéterminer ; agir peut donc impliquer de prendre du plaisir à surmonter ces contraintes. Notre incapacité de surmonter ces contraintes, en raison d'un ou de plusieurs handicap(s), du plafond de verre, d'un manque en capital économique, culturel, social, ou symbolique, etc. peut donner lieu à un mécanisme de déni. Or une affordance est une chose qui nous permet de faire quelques chose ; autrement dit c'est une entité non-vivante qui nous permet d'être ou d'agir. On ne joue pas avec la nourriture ; on a symboliquement trop de respect pour une tomate ou pour une cosse de haricots ; mais les milliardaires nous traitent à l'inverse comme des affordances, comme des entités leur permettant de se réaliser, d'être et d'agir. Il y a donc, dès lors, un aspect indissociablement débiologisant dans la manière dont les milliardaires nous traitent et nous conçoivent ; il n'y a pas de différence axiologique (en termes de valeurs) entre le vivant et la mort. La seule différence est logistique et donc, économique.

Or c'est le sentiment de surmonter des contraintes qui nous fait produire de la dopamine, l'hormone de la motivation. Les ISC maltraitent les personnes n'ayant pas ce sentiment en leur fournissant une source de dopamine alternative, basée sur l'usage d'affordances pour paraître. Le mythe de læ « power user » s'articule donc aujourd'hui à la recherche de capital symbolique sur ces institutions et selon ces modalités : si une biographie peut être l'occasion, pour quelqu'un lancé dans un projet personnel ou dans une carrière, de présenter son capital symbolique, ses études, ses laboratoires de recherche, son employeur, les startups que l'on a fondées, des projets ayant bien marché, etc., c'est-à-dire comment la personne se définit relationnellement et ontologiquement, quelqu'un ne faisant pas partie de ces champs et ne disposant pas du capital nécessaire pour en faire partie ou même pour comprendre qu'il lui faut du capital pour les intégrer (par exemple il faut du capital culturel pour intégrer le champ de la sécurité informatique et donc pour pouvoir donner des conseils pertinents, plutôt que de chercher une forme de reconnaissance symbolique et surtout ignorante de sa propre compétence) peut confondre la nature de son propre usage, basée sur le paraître, avec celle de ces entrepreneur·euses, cadres, chercheur·euses, blogueur·euses, artistes, etc., basé sur l'être.

Le web portait déjà les germes d'une telle dégradation de l'être en paraître puisque dans le processus de création d'un blog (mais plus généralement de création d'un site web), il faut se préoccuper de la présentation des informations avant de pouvoir publier quoi que ce soit. Gemini y met bon ordre en ne fournissant qu'un langage de markup léger et en laissant le navigateur le mettre en forme2. On y retrouve le problème des ISC qui est que contrairement, par exemple, à un jeu vidéo, elles n'ont pas de finalité apparente, l'utilisataire n'est pas guidé·e – parce que cette finalité est déléguée à celle de notre trajectoire de vie, et donc à nos projets personnels. Un·e utilisataire de blog devrait pouvoir écrire (c'est la finalité du blog) puis se préoccuper de sa présentation ; à l'inverse, læ forcer à se préoccuper de la présentation du blog avant de pouvoir y écrire inverse son concept en faisant de l'apparence la finalité de notre présence en ligne.

La recherche de capital symbolique implique l'usage (réactionnaire) de technologies hors de portée des utilisataires classiques, et notamment de logiciels de cryptographie complètement cassés (comme OpenPGP – (1), (2), (3) – pour avoir mon avis personnel, cf. « La maltraitance numérique »). Cet élitisme des « power users » autodidactes les pousse ainsi à communiquer sur des réseaux inaccessibles ou peu commodes, comme XMPP ou Ricochet, ce qui peut les mettre au contact de communautés techies (mais aussi de personnes partageant leurs idées) mais surtout les conduire à éviter les modes de communication en ligne des personnes qu'iels fréquentent AFK, et donc à être tenu·es à l'écart de leurs événements, à ne pas être au courant d'un changement de date ou de lieu, et plus généralement à ne pas garder contact. Cet élitisme pousse donc à leur isolement ; or l'isolement est scientifiquement corrélé au suicide, au moins depuis la fin du XIX^e siècle : Émile Durkheim a montré que les catégories de la population les plus isolées, comme les agricultaires, étaient celles dont les membres avaient le plus de chances de se suicider ; de même, un psychiatre en hôpital psychiatrique a mené une expérience il y a 50 ans, en gardant contact, par courrier, avec d'ancien·nes patient·es : il a montré que leur taux de suicide était divisé par deux.

On sait aussi sur 4chan (afin de les trigger) que les utilisataires d'Archlinux ont de fortes chances d'être en dépression, notamment car ce système d'exploitation n'a pas de préconception de l'usage que l'on doit en faire (il ne vient pas, par exemple, avec Firefox préinstallé, il n'y a pas de variantes séparées pour PC et pour serveur), ce qui reproduit l'absence de préconception d'une ISC sur l'usage que l'on devrait en faire (inversement à un jeu vidéo). Installer Archlinux implique donc déjà de savoir quels logiciels on installera par-dessus, et donc de connaître l'environnement logiciel dont ont besoin les personnes faisant notre type d'activité3. De même, se créer un compte sur une ISC, en particulier sur Twitter ou sur l'un de ses clones, implique de savoir quel type de persona, quelle apparence on y entretiendra, et donc de connaître l'environnement social dont ont besoin les personnes faisant notre type d'activité (vente d'œuvres d'art ; carrière de journaliste, d'ingénieur·e, de chercheur·euse ; communauté d'art, de manga, de cosplay, ou autour de séries ; blog autour des produits de marque Apple ou de la hard science ; etc. – autant d'activités impliquant des compétences techniques et méthodologiques très différentes dans des milieux appelant à des savoir-être très différents).

Le mythe de læ power user est donc un mythe autour d'un imaginaire masculin, toxique, d'agression (intrusion informatique) et de souffrance. Pour des raisons qui tiennent à son élitisme et à son usage de logiciels en tant que recherche de capital symbolique, plus afin d'être vu·es en train de s'en servir que pour s'en servir par et pour soi-même, iels peuvent privilégier des logiciels de communication inaccessibles au commun des mortel·les et où iels se retrouveront donc isolé·es, ce qui est corrélé à des formes de dépression, voire de suicide.

Références

Bourdieu P., 1979, La distinction : critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit (Le sens commun), 670 p. Debord G., 1967, La société du spectacle, Buchet/Chastel, 106 boulevard du Montparnasse, Paris, 221 p.

1 En fait, ça m'est arrivé exactement une fois : deux étudiantes dans un cours mutualisé de psychologie ont vu mon ordinateur et m'ont demandé si j'étais une sorte de hacker. Je leur ai répondu en bredouillant que je ne savais pas m'introduire dans des systèmes sans autorisation et qu'il s'agissait d'une simple interface en ligne de commande. Mon comportement était tellement bizarre qu'elles m'ont ignorée pendant le reste du cours. En revanche, j'ai redoublé un certain nombre de fois car installer Linux m'a empêché de collaborer sur des bases de données propriétaires et aussi de communiquer avec mes camarades de promotion (ce qui était, dans une certaine mesure, volontaire, puisqu'on communiquait sur Facebook). 2 Pour plus d'informations sur Gemini, cf. Gemini Quickstart!. 3 On passe ainsi d'un mode de communication numérique n'ayant pas de préconception sur la manière dont on devrait s'en servir (comme un jeu vidéo) mais plutôt sur la manière dont on devrait servir ses ayants droit (cf. « La maltraitance numérique ») à un rapport aux communs défini par l'apprentissage de la manière dont on pourrait servir « la cause », entité occulte et désincarnée.

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CW : rationalisation de la religion. La religion fait du bien à ses croyant·es lorsqu'elle est avant tout une relation d'amour entre Dieu, autrui, et soi-même. Or l'amour est un sentiment irréductiblement irrationel ; rationaliser la religion, c'est la réduire à peu de chose, pas parce qu'elle n'aurait pas de valeur propre mais parce que c'est ainsi que fonctionne l'amour.

Dans un texte publié en 1986, « L'illusion biographique », Pierre Bourdieu critique l'illusion de cohérence de nos actions dans le temps et dans les contextes dans lesquels nous nous trouvons (Bourdieu, 1986). Ce texte est parfois réduit à ses recommandations méthodologiques, qui ne sont alors que des exemples à destination des sociologues : il est bien plus que ça, il dévoile le principe fondamental des oppressions systémiques, qu'elles soient fondées sur l'assignation nominale étatique ou sur notre croyance en cette dernière. Ainsi deux exemples me viennent-ils en tête : le CV et le casier judiciaire. Ces deux dispositifs naturalisent cette illusion de cohérence, au point qu'un casier judiciaire n'expire pas ; un crime, même innocenté par la suite, peut ainsi empêcher un·e ingénieur·e de trouver du travail, pour toute sa vie.

À Lyon, lors des élections législatives de 2022, a été présentée une liste de candidat·es favorables à une société post-monétaire. Mais la monnaie est elle-même assignée à des noms propres, qui sont assignés administrativement et par l'État à des personnes. Le souhait d'une société dont les ressources aillent « de chacun·e selon ses capacités à chacun·e selon ses besoins » doit d'abord mettre à bas le principe même d'allocation inégalitaire et injuste de ressources auquel est intégralement dévoué celui d'assignation nominale.

On retrouve ainsi les noms propres sur les comptes bancaires, sur les factures, sur les casiers judiciaires, sur les CV, sur les contrats… In fine, tout document administratif où figure un nom propre représente une administration, qui n'est alors qu'un rouage du système à abattre.

L'assignation nominale peut par ailleurs être étendue à des communautés : on présume ainsi une cohérence des comportements des individus selon leur appartenance à des communautés (réelles ou inventées) dans le temps et dans les contextes où ils se trouvent, et on retrouve sans surprise des présomptions associées aux principes de casier judiciaire et de CV : ainsi, les habitant·es des quartiers construits pour l'immigration ouvrière algérienne sont présumé·es (et parfois directement désigné·es comme) « délinquant·es » ; leur discrimination à l'embauche commence avec les premières remarques de l'entourage et donc parfois avant même leur fécondation (Le Seum, 2018). Ainsi la délinquance de Nahel fut-elle présumée et acceptée pour justifier son assassinat par un policier alors qu'il tentait de fuir le policier sans avoir commis de délit (la vidéo de son assassinat montre que le policier lui parlait avant qu'il ne tente de fuir, puis a montré le policier lui tirer dessus, à travers la fenêtre de son véhicule à l'arrêt, et à bout portant – le jeune français n'avait pas fait un mètre, ce qui implique par ailleurs que le policier avait dégainé son arme avant qu'il n'écrase l'accélérateur).

C'est à travers l'assignation nominale que l'illusion biographique permet à l'état et au capitalisme de tou·tes nous maltraiter : car c'est avant tout une arnaque économique planétaire, fondée sur l'imposition de formes de travail, de cadences, de surveillance à des êtres humains sous peine de mourir (l'espérance de vie d'un·e mal-logé·e était, il y a peu, de 53 ans), et donc, impliquant des institutions et une relation prolongée entre l'escroc et ses victimes, de la maltraitance, phénomène systématique selon que l'on étudie les violences intra-familiales, le harcèlement au travail, la maltraitance numérique, la racialisation comme assignation d'individus à des formes de travail pénibles et mal rémunérées (survivance de l'esclavage), etc. Mais plus encore, l'assignation nominale fait projeter l'espoir d'une élection des enfants en les faisant accéder à de grandes écoles, reproduisant l'espoir d'une élection des bon·nes croyant·es au Paradis, en d'autres termes, à travers les enfants ou le jugement dernier, d'une vie après la mort. C'est de ce point de vue qu'il faut expliquer le succès du marketing d'Apple, dont les appareils stimulent les régions du cerveau stimulées par la religion, et réconfortent leurs utilisataires – notamment lorsqu'ils sont transmis par des parents avec lesquels les relations sont associées à une forme de maltraitance, intrafamiliale, scolaire, ou encore concernant les finances de la famille – : Bourdieu a démontré que l'accès aux grandes écoles, et donc cet espoir d'élection, était inégalitaire ; le marketing d'Apple, comme la religion, mettent ou prétendre mettre leurs croyant·es sur la même ligne de départ. L'accès aux grandes écoles, mais aussi la possession de matériel Apple ou la religion, peuvent ainsi nous débarrasser de notre sentiment de responsabilité pour ne pas avoir échappé à la maltraitance de classe, au réseau de relations monétaires ou surdéterminées par la monnaie à travers lesquelles des hommes s'approprient la force de travail de leurs conjointes, des patrons s'approprient celle de leurs employé·es, etc. Cette maltraitance de classe passe avant tout par une forme ou une autre d'assignation nominale et donc d'illusion biographique, on pourrait même dire que c'est leur fonction première : produire et reproduire une société antagoniste d'élu·es et, inversement, de damné·es.

Pour toutes ces raisons, il importe – en plus de se syndiquer, de décroître, et de favoriser la consommation chez des coopératives – de déconstruire l'illusion biographique. Il importe aussi de défendre, lire, et faciliter l'accès à la sociologie, qui démontre progressivement l'absurdité d'une telle construction juridique (et donc pseudoscientifique). Des résistances de plus en plus fortes sont mises en place contre la sociologie, justement car elle ferait voler en éclat le dévoiement de l'État de droit (puis de l'État social) en État administratif.

Références

Bourdieu P., 1986, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, 62, 1, p. 69‑72. Le Seum C., 2018, « Car personne ne nous a invité·es ».

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Quand j'étais petite ma mère a réfréné son attrait pour la télévision, puis on a commencé à la regarder tous les soirs quand j'étais adolescente. Je me définissais alors comme une « téléspectatrice passive », en référence au tabagisme. Un souci avec la télévision est que les programmes, même familiaux, ne sont faits que par des adultes, pour des adultes, ce qui efface les personnes mineures en tant que consommataires de médias. Or, pour de nombreuses personnes, les médias bourgeois seraient le pilier de la démocratie. Ce phénomène parmi d'autres nous amène à ignorer, y compris dans des milieux militants, les enjeux des personnes mineures, comme s'ils n'étaient pas d'intérêt public. On y retrouve la constitution de la gauche comme groupe objectif de travailleurs blancs, auto-défini par son partage de mêmes sensibilités politiques – bien que cette définition soit en cours de féminisation – et donc de personnes blanches majeures et valides. Si la gauche est un groupe de solidarité entre travailleurs, qui oserait faire entrer des adolescent·es ou des écolièr·es dans cette catégorie ? Je pense cependant qu'un intérêt pour leurs enjeux est essentiel pour notre camp social : à la fois par principe, au nom de nos valeurs, mais aussi car nous pouvons y trouver une victoire sémantique capitale, notamment dans le contexte actuel.

Le capitalisme n'est qu'une arnaque, une manière de s'approprier la force de travail ou, autrement dit, le temps, l'énergie, et les vies des travailleur·euses, passant par les plus « hautes » institutions, assurant donc une relation pérenne entre les escrocs et leurs victimes : c'est donc de la maltraitance. C'est un problème majeur avec le capitalisme : les problèmes de santé qu'il crée sur les travailleur·euses dont il vole littéralement les vies et les trajectoires de vies, mais dont il déforme aussi les corps ; le définancement des services publics qu'il induit, de la santé aux écoles, en passant par les allocations familiales, maltraitent les pauvres, les travailleur·euses, les parents. Mais qu'en est-il des enfants ?

Considérons les principes directifs d'institutions suivants : le marché, les technologies, les normes, et la loi (Lessig, 1999). On pourrait dire que les logiciels et plus généralement les machines seraient des institutions, car ils seraient une forme de technologie. De même, les services publics sont réglementés par la loi ; le mariage et la famille, quant à eux, sont désormais, en France, surtout tributaires des normes sociales (il est parfaitement légal et de plus en plus normal de vivre en relation polyamoureuse ou de former un polycule). Le travail, quant à lui, dépend principalement du marché – lui-même encadré par la loi. Or, quand un parent voit ses allocations familiales réduites ou supprimées, ou lorsque le temps de travail hebdomadaire est augmenté, quelles sont les premières victimes ? Que faire de la prédation (réussie) des enfants par l'industrie du sucre, à travers les goûters, les sucreries, les bonbons, les desserts ? Si une mère prend un paquet de bonbons des mains de son enfant un vendredi soir dans un hypermarché bondé, en lui intimant de se taire s'il veut qu'elle l'achète, c'est de la maltraitance, mais peut-on considérer que cette pauvre mère sort du travail, et est allé chercher ses enfants à la crèche (en voiture, parce que c'est une mauvaise citoyenne), avant d'aller faire les courses, en espérant tenir, avoir l'énergie de leur faire un repas en rentrant à 8h du soir, faire un peu de ménage, puis les coucher, avant de s'effondrer épuisée ? Peut-on faire comme si le contrat de travail de cette femme, son salaire horaire, la pénibilité de son travail en lui-même, ses horaires, dépendant eux-mêmes de ses allocations familiales, du service public local, de services de garderie à l'école (et donc de son financement), ainsi éventuellement que la maltraitance numérique, qui peut amener des parents à mettre Candy Crush dans les mains d'enfants ne sachant pas encore parler – peut-on ignorer l'impact que cette maltraitance aura en particulier sur les enfants ? En nous intéressant aux personnes mineures, en nous investissant dans leurs luttes, ne peut-on pas construire un discours amenant à les protéger du capitalisme, et donc de la maltraitance scolaire et familiale, c'est-à-dire notamment de la maltraitance économique de leurs familles ?

Nous avons donc beaucoup à gagner en nous attachant à jouer nos rôles d'adultes et à protéger les enfants, les adolescent·es, les personnes mineures du capitalisme d'État (comme on devrait le faire contre la présidence EELV de la métropole lyonnaise).

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Avant même son élection à la présidence du Grand Lyon, le parti politique EELV montait au créneau contre la gratuité des transports en commun. C'est pourtant une vieille lutte sociale, contre la gentrification, la pollution, et pour la mobilité. Il ne s'agit pas de prétendre que personne n'aurait réellement besoin de l'automobile, ni même que ce besoin ne concernerait pas des pans entiers de la société – besoin auquel il faudrait s'attaquer autrement qu'en « contraignant l'automobile » ou en établissant des ZFE –, mais que le coût des transports en commun représente un frein et, lorsqu'il n'est pas strictement supérieur à celui de l'automobile, une incitation à rouler dans des conditions honnêtement moins stressantes et plus confortables. L'argument avancé est que la gratuité sélective serait en réalité plus solidaire que la gratuité totale pour deux raisons : premièrement car les entreprises paient la moitié de l'abonnement de leurs salarié·es, tandis qu'EELV voterait (et a voté) la gratuité ou un tarif réduit pour 200 000 personnes, chômeur·euses, bénéficiaires du RSA, étudiant·es, allocataires de l'AAH, etc. Deuxièmement car la gratuité universelle représenterait une réduction de 9€ aux allocataires du RSA pour 65€ aux salarié·es qui, soulignent les autaires, peuvent être des cadres (jor nous rappelle qu'iels représentent 9 % de la population française). Cela revient évidemment à gommer une masse salariale vulnérabilisée, composée en majorité d'employé·es et d'ouvrièr·es rémunéré·es au Smig, lorsqu'iels ont la chance d'être déclaré·es ; rappelons par ailleurs que la moitié des français·es ont moins de 100€ sur leurs comptes bancaires le 10 du mois. Évidemment, ces arguments mensongers – avancés par deux inconnu·es appelant Lyon « la capitale des gaules », l'expression correcte étant « des trois Gaules », avec une majuscule, je le savais lorsque j'avais 6 ans – reposent sur l'ignorance du fait que les impôts sont un principe de solidarité. C'est le principe du financement du service public, des écoles, de la recherche, des bibliothèques, des garderies, etc. Je n'arrive donc pas à croire que ce parti ait été élu face à une coalition de gauche, promettant la gratuité des transports.

Pour le plaisir, peut-on souligner la mauvaise foi des autaires, qui les pousse à ne citer que les arguments les plus fragiles de candidat·es de gauche, perçu·es comme concurrent·es, ce qui en dit long sur le positionnement politique de ce parti de garage ?

Lors du débat de France 3 Rhône-Alpes, Nathalie Perrin-Gilbert a affirmé qu’​« un anneau des sciences qui n’est pas fait, c’est 10 années de gratuité des transports en commun ».

L’argument est étonnant, car une des principales critiques émises contre ce projet est qu’il n’est absolument pas financé. La gratuité ne l’est donc pas davantage. La promettre sans présenter de solution de financement crédible fait de la gratuité des TCL un exemple de mesures proposées à des fins électoralistes.

Quid d'une foule d'arguments en faveur de la gratuité des transports en commun, allant du bon sens – les contrôles des titres de transport sont une pratique abjecte, intensifiée lors des fêtes familiales car l'amour est l'acceptation pour son principe même de sa vulnérabilité envers autrui comme moteur d'action, évoquant donc les violences psychologiques par lesquelles des parents font associer et font comprendre l'association volontaire de leur violence à l'amour et donc à la vulnérabilité consentie que leur enfant est censé éprouver – à des travaux scientifiques publiés dans des revues à comité de lecture faisant autorité, et donc validés par des pairs ?

Pour de nombreux·ses étudiant·es, l'automobile reste un mode de transport plus économique que les transports en commun, les postes de dépenses principaux étant alors de payer son loyer et de faire ses courses, la « précarité étudiante » intégrant, d'une manière qui peut paraître, et à tort, futile, l'inaccessibilité économique des soirées étudiantes, l'intégration au sein d'une promotion étant évidemment associée au soutien psychologique dont peuvent bénéficier les étudiant·es et donc à leur réussite. Prendre le bus par principe serait alors à peu près aussi stupide qu'utiliser Linux et boycotter Google Drive, tout l'enjeu de cette période étant de réussir ses études. De même, ce sont notamment les français·es les plus pauvres que l'on voit se rendre au travail en voiture, à la fois car leurs tâches sont pénibles (et donc qu'iels n'ont pas l'énergie d'un cadre se gargarisant sur son vélotaff) et aussi car économiser de l'argent en prenant la voiture leur permet de préserver – autant que possible – leur santé mentale, en d'autres termes car leur santé en dépend, un cas de burnout domestique, notamment chez les français·es les plus démuni·es en capital culturel et donc les moins capables de faire valoir leurs droits mais aussi par manque de droits associés au travail domestique, en particulier chez les chômeur·euses et surtout dans les cas de « chômage structurel », pouvant ne pas être suffisamment pris en charge (avec des conséquences dramatiques pour ces malades).

Il va sans dire que « contraindre l'automobile » de manière égale et plus encore lorsque cela revient à surpénaliser les pauvres n'est pas une solution pérenne, sans parler de justice sociale et climatique. A fortiori, faire campagne contre la gratuité des transports en commun avec des arguments mensongers, sans doute simplement afin de mener une carrière politique de parasite, peut-être afin d'éviter une hausse des impôts et donc de froisser un bassin d'emploi de complaisance, ne peut qu'aggraver les problèmes de pollution urbaine mais aussi contraindre les plus pauvres d'entre nous à acheter de l'essence au groupe Total, et donc à encourager des alliances politiques entre la France et des tyrans, à fermer les yeux sur des ventes d'armes à l'Arabie saoudite, etc. Il me semble enfin que mieux un quartier est desservi par les transports en commun, moins ses habitant·es prennent la voiture, que c'est un fait connu en urbanisme ; évidemment, plus un quartier est pauvre, plus le prix des transports en commun dégradera leur accessibilité, et augmentera donc mécaniquement l'usage de l'automobile. Quand le sage montre un déséquilibre dans le compromis utopiste entre salariat et patronat sur lequel est fondée notre confiance en l'État (Castel, 1995), l'idiot regarde les pauvres.

Références

Castel R., 1995, Les métamorphoses de la question sociale. une chronique du salariat, Paris, Fayard (L’espace du politique), 490 p.

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J'ai tenté de définir symétriquement la gauche et la droite, juste ici. C'est un peu difficile car cette catégorie est avant tout empirique et politique, et pas abstraite ou formellement « pure », comme par exemple le type-idéal de l'institution totale. En particulier, cette catégorie me paraît problématique, parfois pertinente, mais clairement insuffisante.

Le premier problème est que la gauche est une catégorie auto-revendiquée (de victimes d'une agression, par la bourgeoisie). En France, cette catégorie est particulièrement blanche, à l'exclusion des victimes de racisme : l'intégration des habitant·es de cité reste à faire, et à quelques exceptions près les blanc·hes sont globalement absent·es des rassemblements en faveur des réfugié·es, notamment sans-papiers. Je suis évidemment très déçue par « mon camp social » (mais pas celui des autres) lorsque des réfugié·es mineur·es crient « je dors dans la rue » et « je veux aller à l'école » devant la métropole du Grand Lyon (EELV), en présence de cinq ou six blanc·hes.

De même, la gauche s'auto-définit comme « le camp des travailleurs ». Je n'ai rien à ajouter aux nombreuses critiques sur l'androcentrisme d'une telle définition, mais que fait-on de personnes handicapées qui ne peuvent pas travailler (du moins pas sous un régime capitalisme) ? Que fait-on de la revendication du salaire à vie ?

Enfin, comme le rappelle l'article « Western Marxism, the Fetish for Defeat, and Christian Culture », la gauche occidentale est marquée par la religion chrétienne et par son fétichisme de la défaite. De même, la gauche chinoise est marquée par les écrits de Confucius, de nombreux États africains sont marqués par l'Islam, etc. La religion chrétienne, et cela se voit à travers l'héritage politique et littéraire de la « résistance » française, magnifie l'oppression, la persécution, et le martyr, plaçant la gauche occidentale dans une position de résistance. Il y a une sorte de blocage collectif sur l'idée suivante : nous devons, pour survivre, conquérir les structures de pouvoir. Les anarchistes sont nul·les pour monter des armées, et donc pour dépasser la relation dialectique entre travailleur·euses et entrepreneur·euses de manière insurrectionnelle, mais le modèle des coopératives représente une forme d'anarchisme (en anglais, « wither anarchy ») reposant sur les structures et donc sur la coercition capitalistes, via la socialisation légale des moyens de production par une entité privée, la coopérative. Ce dépassement dialectique semble passer par l'automatisation du travail et donc par les nouvelles technologies, dont l'internet, équivalent moderne et obsolescent de l'imprimerie. Le renversement violent du capitalisme semble à l'inverse passer par des États-nations modernes, des entités capables de revendiquer avec succès le monopole de la violence légitime sur leurs territoires, afin notamment de pouvoir contraindre les peuples à former des armées, et donc se faire dans leurs sangs, ce qui reste un sujet de polémique plus que de débat dans notre camp social. Les « intérêts supérieurs » du communisme justifient-ils de réaliser un génocide culturel punitif contre un mouvement séparatiste local, ou de réprimer un mouvement pro-démocratie contre des mesures sanitaires policières et autoritaires en levant ces dernières et en provoquant une hécatombe ? Ceux de la France justifient-ils plus les essais nucléaires de notre État dans le Pacifique, ou de piller les ressources naturelles du Niger, d'assécher ses zones de paturage et donc de tuer ses communautés pastorales locales, tandis que les recettes privées réalisées sont supérieures au PIB du pays ?

Un second ordre de problèmes réside dans la fragmentation de cette identification sociale à une stratégie, perçue à la fois comme une idéologie et comme une communauté hostile aux autres. Un sentiment d'isolement de certains groupes militants joue sans doute un rôle dans ce comportement politiquement nocif et menant donc à leur isolement. On arrive donc à une double fragmentation : premièrement à l'identification à une stratégie collective – maoïsme, anarchisme, trotskisme, etc. –, et donc un type de collectifs, ensuite à un ensemble cohérents de stratégies individuelles (électoralisme, syndicalisme, activisme autonome, etc.) subordonné à sa stratégie collective. La bonne pratique est au contraire de collaborer entre différents types de stratégie collectives (et donc de favoriser une collaboration entre des stratégies collectives plurielles) et individuelles (et donc de monter une coopérative un jour et de voter le lendemain). Dans le contexte actuel de montée globale du fascisme, en réaction à une montée de mouvements sociaux écologistes, de nombreux·ses électaires, notamment aux États-Unis, considèrent l'abstentionnisme comme une stratégie défaitiste, car il serait suicidaire de se priver, par dogmatisme, d'une stratégie donnée : la victoire contre Acta par exemple a été le résultat d'une action conjointe entre syndicalistes, organisations anti-évasion fiscale, citoyen·nes conscientisé·es, parlementaires, et artistes. Mais mieux vaut mettre un pays en position de résistance, au détriment des plus vulnérables, que compromettre sa pureté idéologique, pas vrai ?

L'usage des termes « gauche », « anarchisme », « maoïsme », « trotskisme », etc., pour désigner une posture dogmatique et dogmatiquement défaitiste contre certaines stratégies individuelles ou/et collectives, et donc éventuellement contre la collaboration entre des groupes militants et des groupes de militant·es, tel le cas pathologique de l'abstention pour une apparence adolescente de radicalité, laissant l'État français, institution au régime présidentiel et favorisant une concentration aberrante de pouvoir en quelques individus, et donc aisément corruptible, aux mains de la manipulation de masse bourgeoise – de BFMTV à Twitter, en passant par L'Express et Konbini –, ou autrement dit refuser, en tant qu'anarchiste, de passer un coup de mains à la Nupes (ou à toute organisation partisane majoritaire), est associé à un relativement grand privilège, ainsi qu'à un mélange d'ignorance et d'égoïsme (encouragé, cela va de soi, par les médias bourgeois).

C'est une raison importante, il me semble, pour critiquer l'usage dogmatique et universel du mot « gauche ». Je parle ainsi parfois de « progrès » (social ou économique). Le communisme libertaire représente à mes yeux le prochain grand progrès économique, et il est à portée de mains, pacifiquement et avec le soutien du Sénat. Je parle aussi, bien sûr, d'antifascisme, d'anti-autoritarisme, et de décroissance, de même que je regroupe l'ensemble des catégories « antiracisme », « antivalidisme », « antiagisme », « féminisme », « anticapitalisme », etc. sous le terme de « progrès social » (les logiciels libres étant un secteur nécessaire mais non suffisant de notre décroissance et l'écologie étant une lutte sociale). Parler de « gauche » reste bien sûr pertinent, mais avant tout pour désigner un groupe social auto-revendiqué – ce qui ne va pas sans problèmes – et en même temps son action politique.

#Politique #PolFR

16/100 #100DaysToOffload 100DaysToOffload.com

La notion d'en-groupe et de hors-groupe est sociologiquement, anthropologiquement, et politiquement problématique. Il suffit de penser aux travaux de Merton sur la façon dont les en-groupes traitent leurs propres échecs et, inversement, la réussite des hors-groupes comme la preuve de leurs mentalités de parasites ou, pour donner un exemple récent, d'un « noyautage » du CNRS par les « obsédés de la race », quatre petits mots sur lesquels il y a beaucoup à dire, mon manque de compétence n'y rendrait pas justice, pour se méfier de ce genre de titres. On retrouve également cette notion dans « Remarques sur le commérage » (Elias, 1985), concernant les membres du « village » parlant positivement « des leurs » et négativement des membres de la « cockney colony ». Alors pourquoi utiliser cette notion aujourd'hui ? Premièrement car elle est présente dans les esprits et donc pertinente à analyser, ensuite car un champ n'est pas un groupe à proprement parler, c'est un « milieu » dont les membres sont en compétition pour accéder à des capitaux (Bourdieu en parle, je ne sais pas dans quels livres/quels articles). Bourdieu structure par ailleurs le capital entre capital économique et capital culturel (Bourdieu, 1979), or c'est en détenant suffisamment du type de capital dominant dans un champ que l'on peut le reproduire. Certains champs sont donc majoritairement économiques, d'autres majoritairement culturels, par exemple l'industrie est un champ dont les membres utilisent leur propre capital économique dans le cadre d'une compétition pour obtenir du capital économique ; de même, le milieu universitaire est un champ dont les membres sont en compétition pour produire du capital culturel (par exemple en travaillant dans les établissements les mieux financés) et donc pour obtenir du capital symbolique, des postes débloquant des financements plus importants et plus pérennes, etc. (Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les membres des champs économiques votent majoritairement à droite, tandis que ceux des champs majoritairement culturels votent majoritairement à gauche, quoique de manière décroissante à mesure que le volume global de capital augmente.) Un champ n'est donc pas un groupe social comme un autre, pas parce qu'il ne serait pas une construction sociale, mais parce que certaines personnes y sont réellement plus légitimes que d'autres.

Le problème n'est pas que certaines personnes mériteraient plus que d'autres d'en faire partie. J'espère que l'internet et le salaire à vie normaliseront certaines dispositions généralement associées à la recherche, comme le simple fait de lire des livres, mais dans l'état actuel certaines personnes n'ont pas le capital culturel nécessaire pour réaliser de bons travaux (quoique ce soit de moins en moins vrai, encore une fois, avec la massification progressive d'un internet ouvert). Par exemple, on peut trouver sur l'internet des communautés (comme @privacy@lemmy.ml) gérées par des personnes qui ne travaillent pas dans le milieu de la sécurité numérique, sans doute car elles ne disposent pas du capital culturel nécessaire pour le faire, au vu des salaires et de la stabilité de l'emploi à la clé. Si ces personnes ne travaillent pas dans l'un des milieux professionnels, même en France, les plus ouverts aux autodidactes, c'est justement car elles n'ont aucune idée de comment réellement garder des communications confidentielles, accessibles, et inaltérées, ce qui peut parfois être une question de vie ou de mort, de liberté ou d'incarcération, s'agissant par exemple d'avortements illégaux ou de militantisme libéral, libertaire, ou/et révolutionnaire. À travers un formidable déni, certaines personnes hors-champ, manquant du capital culturel nécessaire à sa propre reproduction et à laquelle ce champ est voué, tentent donc de passer pour crédible et raisonnable, et abusent donc de la confiance de personnes qui peuvent avoir besoin de conseils crédibles et raisonnables pour rester en sécurité, parfois libre voire même en vie (cela concerne tant les personnes auxquelles ces personnes adressent directement leurs conseils que toutes celles qui les liront des mois, voire des années après, à travers un moteur de recherche). Sur Reddit et depuis peu sur Lemmy, ces personnes hors-champ se regroupent ainsi dans des communautés de parias du champ de la sécurité numérique, au sein desquelles on peut observer une certaine tendance à de la paranoïa, que l'on doit justement au manque d'informations (fiables) que ces communautés peuvent apporter, la paranoïa étant notamment due à un manque d'informations. On y retrouve également, réaction équivalente à la paranoïa, qui concerne de la maltraitance personnelle, face à une crainte de maltraitance organisationnelle et systémique, une tendance assez forte à l'élaboration de théories du complot, qui y sont de toute façon souvent mêlées en pratique, à travers la personnification du modèle de menace, l'imagination d'un agent maltraitant personnellement la personne paranoïaque au nom d'une conspiration organisationnelle et systémique impliquant souvent des États, et parfois des multinationales. Ces personnes sont en réalité tellement prisonnières et souvent addictes à des institutions totales (comme Twitter), caractérisées par une raréfaction artificielle en informations, qu'elles font tendre inconsciemment leurs communautés vers cette forme stigmatisant notamment les références à de « mauvaises » sources d'information, les « mauvais » comportement (par exemple les utilisataires demandant de l'aide sur r/ProtonMail avaient coutume d'indiquer avoir souscrit à une option payante, et de détailler ce paiement (ProtonMail Plus, ProtonVPN Basic, ProtonVPN Plus, Proton Visionary, etc.)). On retrouve donc dans les institutions « socio-capitalistes », par une normalisation de l'abus de confiance reposant sur l'acceptation inconsciente et irrationnelle de son principe, et donc une recherche de la maltraitance numérique, via une activité quasiment exclusive à quelques ISC (qui déclassent de toute façon les publications contenant des liens externes, limitant ainsi la visibilité et même le partage de références qui ne sont ni des affordances internes, ni des captures d'écran, promeuvant donc le web socio-capitaliste, au détriment, par exemple, de ce blog), ainsi que via la raréfaction en informations, et évidemment parce que l'optimisation pour l'engagement est une forme parmi d'autres de maltraitance numérique, un facteur proéminent de paranoïa et de complotisme en ligne, parce que des personnes hors-champ veulent absolument faire partie de ces champs, en les commentant de manière étrangement analogue au commentaire antédiluvien de journalistes sous-qualifié·es concernant quasiment l'ensemble des disciplines scientifiques.

Le problème du conspirationnisme concernant le Covid, l'OMS, et la vaccination (ou l'hydroxychloroquine), comme en ce qui concerne toutes les institutions plus ou moins respectables de sécurité numérique, suspectes, par analogie, de ne devoir la confiance des locutaires que par des stratégies d'abus de confiance, car Signal, comme les ISC, doit une partie de sa légitimité à un transfert de ressources d'autres institutions affectant la neutralité, le milieu professionnel de la sécurité numérique dans le premier cas, et les médias bourgeois, à des fins cette fois malicieuses, dans le second (Hybels, 1995) (je rappelle qu'une arnaque sur le temps long doit passer par des institutions et donc qu'une arnaque passant par des institutions est précisément ce que l'on définit par le terme « maltraitance ») semble ainsi être celui, dans une mesure qui reste à définir, des modalités de communication suggérées, imposées, prescrites, souvent de manière dissimulée ou faussement « légitime » (qui penserait à critiquer le manque de place disponible sur un écran de téléphone, et donc dans les stories Instagram ?), par les ISC. Autrement dit, le problème politique et indéniable du conspirationnisme en ligne est avant tout celui de quelques sites web, de quelques multinationales arnaquant leurs utilisataires et, s'agissant d'institutions, les maltraitant. On peut aussi se poser la question des cadres sociaux empêchant leurs victimes d'obtenir du capital culturel, exploités certes par ces entreprises, mais qui les dépassent sans doute : on peut ainsi évoquer le coût de l'enseignement supérieur, en particulier le soutien de l'augmentation de ce coût par Ronald Reagan, car il ne voulait pas que les classes populaires aient accès à la culture… On doit sans doute à cette politique une partie de cette maltraitance et de ces cas de paranoïa/conspirationnisme, à mon humble avis car le modèle économique défendu par Reagan est une arnaque, passant par des institutions diverses lui permettant d'abuser de notre confiance, et donc de maltraiter la plupart d'entre nous.

Références

Bourdieu P., 1979, La distinction : critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit (Le sens commun), 670 p. Elias N., 1985, « Remarques sur le commérage », Actes de la recherche en sciences sociales, 60, 1, traduit par Muel-Dreyfus F., p. 23‑29. Hybels R.C., 1995, « On legitimacy, legitimation, and organizations: a critical review and integrative theoretical model », Academy of management proceedings, 1995, 1, p. 241‑245.

15/100 #100DaysToOffload 100DaysToOffload.com

Dans « Un dialogue décolonial sur les savoirs critiques entre Frantz Fanon et Boaventura de Sousa Santos » (Grosfoguel et Cohen, 2012), Ramón Grosfoguel écrit : « (…) tandis que les travailleurs dans la zone de non-être, qui gagnent des salaires très bas et travaillent 10 ou 14 heures par jour, risquent leur vie lorsqu’ils tentent d’organiser un syndicat, les travailleurs de la zone de l’être jouissent de droits sociaux, de salaires élevés et de meilleures conditions de travail. Si un ouvrier dans une usine de montage de Ciudad Juárez, gagnant 2 dollars par jour, est formellement un travailleur salarié, son expérience vécue n’a rien à voir avec celle d’un ouvrier salarié chez Boeing à Seattle qui gagne 100 dollars de l’heure. Les femmes et les gays/lesbiennes occidentaux jouissent d’un accès à des ressources, des richesses, des droits et du pouvoir autrement plus importants que les femmes ou gays/lesbiennes dans la zone de non-être. En dépit de l’oppression de genre dans la zone de l’être, les femmes occidentales, qui constituent une minorité démographique dans le monde, ont plus de pouvoir, de ressources et de richesses que la majorité des hommes d’origine non occidentale et vivant dans la zone de non-être. Dans l’ordre impérial occidentalo-centrique, l’« autre » dans la zone de l’être n’est pas la même chose que l’autre dans la zone de non-être. »

Tout l'article est intéressant à lire et il ne fait que 13 pages, vous avez le lien de téléchargement dans la bibliographie, n'hésitez pas à l'imprimer et à le lire ! (Tou·tes les étudiant·es commencent à lire des articles en les imprimant, et j'imprime même des brouillons de mon blog, lorsqu'ils sont un peu complexes, pour pouvoir prendre du recul et mieux les relire.) On voit ainsi que le racisme omniprésent lorsque l'on pense aux conditions de fabrication des iPhone est tellement pratique pour des entreprises comme Apple – je mentionne celle-ci car ses ouvrièr·es délocalisé·es, salarié·es de la Foxconn, ne reçoivent pas de salaire secondaire, leurs cadences sont passées de 2500 iPhone 4S par jour (par unité de 87 ouvrièr·es) à 5000 iPhone 5 par jour, 16 % d'entre elleux avaient perdu connaissance sur leur lieu de travail en 2014 et 18 % y avaient subi des châtiments corporels. Apple traite ses ouvrièr·es délocalisé·es de manière monstrueuse, non seulement en tolérant de telles conditions de travail, mais sans doute aussi car Steve Jobs y ait encouragé ses interlocuteurs (on savait déjà que c'était un fumier, rien de nouveau sous le soleil) ; mais comme ce sont des salarié·es chinois·es, délocalisé·es, en un mot racisé·es, qu'un ouvrier se soit suicidé après avoir été battu par des vigiles sur des soupçons de vol d'un prototype d'iPhone 4, dont chaque modèle a désormais à peu près la valeur d'un disque dur cassé (alors que des salarié·es de STMicroelectronics confirment anonymement à des journaux locaux que leur entreprise fabrique les caméras des iPhone et ne craignent qu'un licenciement), ne choque pas et peut même être défendu par leurs clientèles, des classes moyennes (blanches ou non) aux classes les plus dotées en capital économique, cadres, professions libérales, etc.

La délocalisation a donc pour double avantage de pouvoir bénéficier de devises dévaluées (par l'impérialisme occidental), mais aussi de notre complicité avec nos propres milliardaires du traitement raciste et inhumain d'ouvrièr·es délocalisé·es, et donc de notre propre oppression, notamment car le fascisme (qui est en train de nous tomber dessus) n'est pas très différent de ce que vivent déjà les travailleur·euses délocalisé·es.

Références

Grosfoguel R., Cohen J., 2012, « Un dialogue décolonial sur les savoirs critiques entre Frantz Fanon et Boaventura de Sousa Santos », Mouvements, 72, 4, p. 42.

14/100 #HundredDaysToOffload 100DaysToOffload.com

Je suis un peu embarrassée, j'ai commencé un blog sur la manière dont les familles bourgeoises ont dévié la massification de l'internet vers des enclosures (les institutions « socio-capitalistes », ISC), leurs intérêts derrière ça, et en quoi cela consiste en de la maltraitance, et je n'ai même pas défini la gauche et la droite ! En général, on oppose « le » camp social au camp « du capital », et pourquoi pas, mais il me semble que la gauche et la droite sont deux camps sociaux (antagonistes). Ce sont des populations ayant intérêt à collaborer et à communiquer, et dont les intérêts sont antagonistes. Ce sont donc deux groupes sociaux (censés être) solidaires et interdépendants, à l'exclusion de tous les membres du groupe opposé. Évidemment, lorsque la gauche arrive au pouvoir, ce qui fut le cas en 1789 (relativement parlant, on parle de la Terreur et des procès révolutionnaires, mais pas du fait qu'avant la Révolution les bourreaux jetaient les tripes des condamné·es au feu devant elleux, avant de les tuer, ou même du châtiment proposé par Vermeil aux parricides (je vous laisse lire « Surveiller et punir » (Foucault, 1975), je ne donnerai pas plus de détails ici1), elle tend à tuer le camp social dominant (les nobles et, peut-être bientôt, les bourgeois). Le camp social dominant, c'est-à-dire la bourgeoisie, c'est-à-dire la droite, donc, a aussi besoin de faire une révolution pour tuer les gens qui le dérangent, ça s'appelle le fascisme. Dans le contexte du suffrage universel direct, il tente donc de corrompre la démocratie en menant ce que l'on est en droit de considérer comme des psyops, par exemple de donner honte aux enfants de pauvres d'être des enfants de pauvres, et en diffusant le sentiment que l'être humain serait fondamentalement mauvais, et aurait besoin de l'État et de la police pour ne pas tuer son prochain.

Un premier exemple peut être une émission de M6 particulièrement dérangeante, dans laquelle des journalistes ont filmé des pauvres, l'une organisée, l'autre désordonnée, en montrant (chronomètre à l'appui) que la désordonnée récupérait un objet arbitraire plus rapidement, émission dérangeante donc, pour un enfant regardant les émissions choisies par ses parents, puisqu'il est évident qu'un minimum d'organisation est nécessaire pour partager un espace. Les enfants et les adultes n'auront donc pas le même rapport à cette émission, puisque les premiers pourront la regarder sérieusement alors que les seconds la traiteront comme un simple bruit de fond, en faisant des tâches domestiques, ou alors auront suffisamment de recul pour se rendre compte que c'est n'importe quoi. En revanche, des enfants de parents désordonnés auront honte de leurs familles, assimileront leur pauvreté (et donc leur manque de capital culturel) à cette essentialisation : les pauvres sont désordonné·es. Dans le second cas, deux exemples : premièrement, la massification de l'internet dans des enclosures qui matraitent leurs utilisataires ; le comportement « violent » d'une personne maltraitée est ainsi présenté comme révélant une nature humaine implicitement considérée comme violente, ayant besoin d'être contrôlée, bridée, muselée par la police et par l'État, seuls protecteurs de l'individu contre le Léviathan (théorie fumeuse appréciée des juristes). La solution évidemment serait davantage de coercition : interdire l'« anonymat » (sic) en ligne, permettre la censure des sites web par la police en vingt-quatre heures, non, en une heure ; la loi européenne de censure numérique n'était pas encore promulguée par la France que les éléments de langage censés l'étendre à l'ensemble de nos communications, et notamment aux Français·es les plus pauvres en capital global, économique et culturel, les plus maltraité·es aussi2, étaient déjà là.

J'ai montré d'une façon qui me satisfait que les pauvres et les cadres n'ont pas la même expérience de Twitter : concernant des journalistes, des cadres donc, rémunéré·es notamment pour se spécialiser dans des sujets d'enquête, Twitter était une plateforme tout à fait honnête, et Mastodon en est un clone, donc il n'est pas surprenant de les y retrouver (en même temps que des survivant·es à la maltraitance de Twitter). Je ne crois pas que ces cadres puissent comprendre les victimes de maltraitance et réciproquement : ce n'est que par mon passage d'une catégorie à l'autre, un « travail dispositionnel » (Darmon, 2019), que j'ai pu passer d'un usage dit « passif » à un usage dit « actif ». Le rasoir de Hanlon (préférer l'explication d'un comportement nocif par la stupidité plutôt que par la malveillance) permet, même lorsque l'on est face à un cas de malveillance réelle, de mieux comprendre un phénomène, et évite de verser dans des théories du complot : par exemple, je ne crois pas que quiconque promeuvrait ChatControl avec l'objectif de produire un futur dystopique, on a simplement un marchand d'armes numériques, de programmes de surveillance de masse, qui a corrompu la vice-présidente de la Commission européenne. (De manière générale, la concentration des pouvoirs facilite la corruption. Je ne regarde pas du tout le régime présidentiel.) Je ne crois pas un instant que Ylva Johansson, commissaire européenne de l'Intérieur, ait menti par malveillance mais plutôt par corruption personnelle ou pour répondre à des consignes de supérieur·es hiérarchiques (comme Ursula von der Leyen, Présidente actuelle de la Commission européenne, qui a plagié 43,5 % de sa thèse en médecine, et connaissant personnellement le directeur de la commission ayant décidé de ne pas révoquer son diplôme), ellui-même corrompu·e. De même, même si les journalistes ont pu répondre, par ignorance, à des appels de pied de leurs supérieur·es hiérarchiques, ou même avoir été manipulé·es, je pense que c'est avec un enthousiasme tout à fait sincère et naïf qu'iels ont mis des mots-clés en début d'émission, croyant promouvoir l'internet et n'ayant donc fait que dévier sa massification dans des enclosures.

De même, la maltraitance numérique répond avant tout à des intérêts économiques, ceux de faire afficher des publicités (à des humains) et donc de satisfaire des investissaires en capital-risque, qui financent le développement de Twitter, en attendant de cette entreprise un revenu sur investissement de l'ordre du triple ou du quadruple. Je pense que chaque cadre travaillant pour Twitter devrait comparaître à La Haye pour complicité à un crime contre l'humanité, mais je ne pense pas pour autant qu'iels auraient conscience de ce qu'iels font, iels ont sans doute même développé des stratégies préconscientes pour éviter les informations pouvant leur en faire prendre conscience. Il n'y a même pas lieu de supposer une alliance objective entre un Dorsey et les bourgeoisies locales de chaque pays ; toujours est-il que les ISC donnent bien le sentiment que « l'Homme [serait] un loup pour l'Homme », que l'être humain serait naturellement mauvais, et donc que l'État et sa police devraient protéger l'individu et ses droits du « Léviathan ». À l'inverse, l'approche révolutionnaire, qui est la mienne, considère que l'être humain serait naturellement bon, mais seulement envers les membres de son camp social, par exemple je suis une femme trans, je fais face à des réactions ambigües entre ma fleuriste (Dieu bénisse les fleuristes) qui m'a dit cet après-midi que j'avais une belle salopette et qu'elle en avait acheté une en mousseline à la Dégriffe de la Grande Rue de la Guillotière, et une salariée d'un magasin d'informatique qui m'a probablement fait comprendre qu'elle ne voulait pas faire commerce avec moi, en passant par le gérant du web café qui m'a fait un grand sourire, très crispé, mais qui a offert un service payant à une cliente âgée qu'il appelait « mama », en lui disant qu'elle le paierait quand elle gagnerait au loto. Je considère ces personnes comme membres de mon camp social, nous avons les mêmes intérêts à socialiser le travail, la culture, l'État, et la technologie, ainsi qu'à éviter un génocide climatique. Ces personnes ont seulement un niveau d'éducation inégal sur la transidentité, mais considèrent toutes comme « humain » l'écoute attentive, l'empathie, le respect, la décence, la solidarité, etc., autant de valeurs qui ne sont que des conditions optimales de communication et de collaboration, c'est-à-dire de solidarité et d'interdépendance, qui sont, d'un certain point de vue, la définition d'une société. Je ne crois pas un instant que les bourgeois·es croieraient que les membres de leur propre camp social seraient naturellement mauvais, et si nous le faisons, c'est probablement car nous sommes victimes de leur propagande.

Un second exemple peut être Dart, dans la série « Stranger Things », une créature du monde inversé, adoptée à sa naissance par un gosse pas très futé comme son chien, et reconnaissant son maître près du portail dimensionnel que Elf refermera, incarnant ainsi, d'un point de vue naïf, l'humanité que permet une éducation humaniste même dans un être incarnant biologiquement le mal absolu cœur cœur cœur mais aussi, plus insidieusement, le mal absolu, bref le Léviathan, qui résiderait en chacun·e d'entre nous.

C'est notamment à travers cette lutte culturelle, de fragilisation des démocraties à travers l'aliénation médiatique de leurs peuples, capitale pour la bourgeoisie, visant à désagréger notre camp social « pour soi », dont les membres seraient conscients de leur solidarité et de leur interdépendance, autrement dit à désagréger notre conscience de classe, que je m'intéresse aux rapports entre la gauche et la droite en tant que camps sociaux.

1 La Révolution française reste un énorme progrès social, ce qui est une autre manière de désigner la gauche – les coopératives et plus généralement le communisme libertaire seraient avant tout un progrès économique considérable, sans doute le plus gros progrès économique depuis 1789 – ; on peut comparer ce que Foucault appelle « l'amende honorable » à « l'adoucissement des peines », la guillotine, la prison, et les procès révolutionnaires. 2 La « haine en ligne », concept qui encore une fois ne veut rien dire, et qui n'est qu'un mensonge, prolonge dans les normes sociales la déshumanisation des personnes sur lesquelles les ISC exercent le plus d'emprise que l'on trouve déjà dans le marché et la technologie. L'absence de régulations sur l'exploitation numérique aidant, il ne reste plus qu'une déshumanisation légale pour pouvoir les considérer, authentiquement, comme des esclaves.

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CW : description du point de vue d'un·e prédataire domestique, politique.

Lorsque j'ai dit à un camarade de promo vouloir prouver la maltraitance numérique, il m'a répondu que Twitter était sans doute le réseau social le plus adéquat pour le faire. Pourquoi ? Simplement car l'optimisation pour l'engagement n'est qu'une arnaque, et que la maltraitance n'est qu'une arnaque impliquant une relation prolongée entre læ maltraitant·e et sa victime. Qu'il s'agisse d'argent, de travail domestique, de sexe, ou/et de traiter un mélange de haine et de désespoir en amenant autrui à s'autodétruire, il y a toujours une question économique derrière ça, de rapports sociaux, de structures sociales, et souvent de travail non-rémunéré. Par exemple, dans le cas d'un·e prédataire cherchant notamment à détruire sa victime, on peut se poser des questions quant à sa prise en charge alors qu'iel était encore mineur·e, et donc quant au financement de l'Éducation nationale, de la santé, de la protection sociale de l'enfance, etc. Réduire le budget de la protection sociale de l'enfance, comme M. Macron l'a fait, revient mécaniquement à détruire des vies et à laisser des représentant·es d'institutions indignes (famille, école…) transformer des enfants qui méritent mieux en prédataires, en monstres. (Il faudrait encore étudier l'impact du définancement d'autres institutions, comme les caisses d'allocations familiales, de la culture, etc. sur ces institutions, de même qu'il faudrait analyser l'impact des programmes scolaires, je pense à l'enseignement de la sociologie, sur le racisme, le mépris de classe et la hiérarchisation de la culture, que l'on trouve dans l'enseignement secondaire.) Bref, monnaie et maltraitance sont étroitement liées et c'est sans doute parce que le capitalisme est une gigantesque et monstrueuse arnaque qu'il est responsable de la plupart des situations de maltraitance vécues par les personnes mineures, raison pour laquelle iels sont effacé·es du débat public, notamment en tant que consommataires de médias bourgeois et donc que téléspectataires. De même, c'est parce que l'optimisation pour l'engagement amène des utilisataires à produire et consommer des assets, et donc des publicités, en utilisant des produits qui ne sont pas faits pour elleux, et donc que c'est une arnaque, que l'on ne peut pas sérieusement exclure la maltraitance de son analyse.

En d'autres termes, Twitter est un excellent terrain pour étudier la maltraitance numérique car ce « réseau social » ne correspond qu'à des usages typiques de cadres, qui seront amené·es à étudier ce sur quoi iels travaillent (plutôt que de simplement accumuler de l'expérience au sens d'un·e ouvrièr·e non-qualifié·e) pour progresser dans leurs carrières, qui sont encore une fois une notion très différente selon que l'on soit ingénieur·e en développement informatique ou manutentionnaire dans un supermarché (les lettres de motivation pour ces deux types de postes serviront donc des objectifs très différents) : un·e bon·ne cadre a, en principe, un projet ou un domaine de prédilection, laissé à sa discrétion, sur le long terme (un·e développeur·euse pourra ainsi s'intéresser à la performance sur des systèmes embarqués, à la sécurité des programmes, etc.). En bref, Twitter est utile à des personnes disposant déjà d'un capital culturel important car elles peuvent y parler de leurs projets, auprès de leurs pairs, et donc, à travers les mêmes notifications et les mêmes métadonnées, y jauger l'intérêt général et en même temps garder une certaine motivation grâce au même circuit de stimulation-récompense qui nourrit, chez les pauvres, des addictions et donc la tombée, facilitée par un certain nombre de dispositifs, dans des institutions totales (c'est-à-dire dans un grand isolement normatif et culturel, l'institution déterminant les normes et les consommations culturelles prescrites et jugées acceptables), dont le caractère addictif et l'ubiquité en généralisent les prescriptions dans ce qui devrait tenir lieu de vie quotidienne (cf. Berger et Luckmann, 1966).

Twitter maltraite donc ses utilisataires car, comme Mastodon aujourd'hui, c'était initialement un bon réseau social pour les cadres, son usage consensuel étant donc restreint à un petit nombre de personnes, l'optimisation pour l'engagement permettant de faire maintenir une présence active à toutes les personnes qui, autrement, n'y verraient aucun intérêt. À l'inverse, Facebook est un réseau social plutôt utile pour un plus grand nombre de personnes : pas pour les introverti·es, pas pour un certain nombre de personnes autistes, surtout lorsqu'elles sont jeunes, mais ses groupes, ses événements, ses affordances pour indiquer son anniversaire, son statut marital, etc. sont réellement utiles et notamment aux personnes les plus « sociales », les plus « extraverties ».

Références

Berger P.L., Luckmann T., 1966, The social construction of reality: a treatise in the sociology of knowledge, Garden City, New York, Doubleday, 203 p.

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Il y a quelques années, Mastodon a collaboré avec le projet Eunomia, financé par l'Union européenne à hauteur de 2 455 000€. Le compte Mastodon (vérifié par ce billet du projet Mastodon) renvoie vers un lien vérifié, abandonné, et désormais loué par un site de paris en ligne, profitant de la notoriété, du recensement, et des liens pré-existants dont bénéficie le nom de domaine. L'Union européenne a donc gaspillé 2 455 000€ pour faire construire une solution technologique à la désinformation qui n'a pas, et ne pouvait pas marcher : les tests préliminaires demandaient à des utilisataires de déterminer si un article était fiable ou non, ce qui montre bien que cette technologie a pris le problème à l'envers, et je pense qu'en réalité les affordances de partage, aussi critiquables soient-elles, sont des outils de partage d'informations tout à fait corrects lorsque l'on prend quelques précautions !

Le premier problème est celui d'une confusion entre « réseau social » et « réseau d'intérêt ». Le microblog est un format conçu par des cadres, pour des cadres ; il leur fournit une expérience de gamification efficace, les métadonnées leur permettant de rester motivé·es, sous forme de dopamine, tout en leur permettant de sonder l'intérêt que certains sujets pourront avoir pour leurs audiences. C'est justement parce que le microblog est conçu pour les cadres qu'il n'a pour elleux aucun mystère, et qu'iels ont tout le recul nécessaire pour différencier leurs graphs sociaux – les personnes s'intéressant à leurs travaux – de leurs réseaux sociaux – des collaborataires potentiel·les, c'est-à-dire, avant tout, des membres de leurs champs. Iels savent que leurs mutuals ne sont pas des relations et qu'iels n'en perdront donc pas en supprimant leurs comptes. Notons par ailleurs que certains médias ont fait confiance à Facebook et ont mis la clé sous la porte, ceux ayant survécu ont donc appris à se servir des Réseaux Sociaux Numériques (RSN) pour se construire une audience, sans en dépendre économiquement.

Les cadres savent donc que les relations d'abonnement représentent une forme très faible de solidarité, et ne voient donc aucun problème à se désabonner de certains comptes ; inversement, le microblog optimise pour l'engagement auprès des pauvres en leur faisant projeter, autant que possible, leurs faces (au sens goffmannien) sur leurs profils, les métadonnées publiquement exposées, leurs biographies, leurs avatars, et l'accumulation de leurs messages publiquement listés, étant alors transparents quant à leur intégration sociale et donc aux degrés de solidarité auxquels iels ont droit, à leurs PCS et à leurs places dans divers réseaux d'interdépendance ; plus cette dimension sociale est vulnérable, plus iels seront amené·es à percevoir des désabonnements d'ex-mutuals comme des souillures, et donc, par solidarité/réciprocité, à continuer à suivre des mutuals ayant complètement dérivé dans l'espoir de pouvoir les soutenir.

Se désabonner des comptes partageant de la désinformation me semble nécessaire pour pouvoir utiliser un modèle de confiance : je partage les sujets sur lesquels j'ai un semblant de compétence ou alors en lesquels la personne qui s'exprime a une expertise à laquelle je fais confiance.

Lorsque je veux partager une publication traitant d'un sujet me paraissant important, ou/et d'actualité, je me demande si elle correspond à mon modèle de confiance. Ça désamorce complètement le risque de partager des publications ne faisant que conforter mes croyances. Par exemple, NitroKey a publié un billet de blog critiquant le manque de sécurité de /​e​/. Je l'ai partagé à mes abonné·es pendant quelques secondes, avant d'annuler le partage, en me disant que je ne connaissais rien à ce sujet, et bien m'en a pris, puisqu'il a été démonté le lendemain par Martijn Braam. Ça m'a évité de partager de la mésinformation, sur un sujet et au sein d'une communauté qui me tiennent à cœur.

Dans le second cas, lorsque je vois passer un entretien accordé par Descola, qui est un monstre sacré de l'anthropologie, je peux le partager sans même le lire, ce qui équivaut à dire à mes abonné·es qu'iels peuvent lui faire confiance les yeux fermés.

Et il n'y a rien de plus facile ! Admettons que j'utilise encore Facebook, et que les gens débattent de l'efficacité des vaccins. Ces personnes peuvent émettre des allégations lourdes de conséquences, comme par exemple le fait que le passe sanitaire représenterait une forme d'expérimentation sur des sujets non-consentants. N'ayant aucune compétence sur le sujet, je peux partager ces allégations en espérant que des personnes mieux qualifiées que moi puissent les lire et se faire un avis, ou alors quitter les communautés mal modérées ou non-modérées dans lesquelles ces publications sont partagées. Il va sans dire que faire ce tri est une condition sine qua non pour gérer un compte influent et donc que ceux qui me suivent pourront s'abonner à d'autres comptes, compétents là où je ne le suis pas. C'est bien sûr à rebours de la méfiance à laquelle nous incite la maltraitance numérique, c'est-à-dire toutes ces formes d'« optimisation pour l'engagement » qui ne sont en fait que des arnaques, à travers des institutions, sur le temps long.

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#Désinformation #Eunomia

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