Océane

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TW suicide.

Après avoir hébergé une personne qui lui volait de l'argent, et avoir dû interrompre ses études en France et retourner chez ses parents, une amie a partagé une publication disant que « l'empathie sans limites [était] auto-destructrice ». C'est un excellent aphorisme : il faut mettre des limites à son empathie. Par exemple, s'il me semble naturel de donner de l'argent aux mendiants de mon quartier, ce n'est pas une raison pour leur ouvrir mes poches, ils savent et respectent totalement le fait que je ne leur donne pas d'argent lorsque je suis moi-même en difficulté financière. Mais ce que j'appelle l'empathie sélective est une autre chose, particulièrement validiste et plus généralement basée sur les oppressions non reconnues, par exemple celles de personnes trans dans le placard. Alors que l'empathie auto-protectrice vise avant tout à se préserver, par exemple en assumant ses responsabilités envers soi-même avant d'en prendre envers autrui, l'empathie sélective est basée sur l'essentialisation de certaines personnes qui « mériteraient » ou non d'être aidées. C'est une aberration qui, cela dit en passant, a un passif historique particulièrement lourd ; aujourd'hui encore, ce rapport monstrueux à autrui tue, et pousse au suicide aussi bien des hommes cisgenres que des femmes ou des personnes transgenres qui « mériteraient » ou non d'être reconnu·es comme humain·es.

L'enjeu est bien évidemment la reconnaissance d'une présomption libérale et donc révolutionnaire du caractère fondamentalement solidaire, interdépendant (car corporellement dépendant), bref bon de l'être humain, qu'il faudrait libérer et émanciper, ou à l'inverse celle d'une présomption littéralement obscurantiste du caractère fondamentalement égoïste et dangereux de l'être humain, qu'il faudrait contraindre à faire société (qu'il faudrait, en retour, en protéger – une « société » au service de qui et constituée de quoi, cela « reste » à identifier).

Je comprendrai sans difficulté que des victimes de maltraitance généralisent de manière irrationnelle ce qu'elles peuvent subir, dans la mesure où cette maltraitance se fait généralement avec notre consentement, en présumant que l'être humain serait fondamentalement mauvais, car notre comportement par défaut à leur égard serait d'y contribuer activement ou par notre passivité. Mais l'empathie sélective n'est justement qu'une manière comme une autre de systématiser notre passivité face à la maltraitance que d'autres (catégories de) personnes subissent.

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Des enquêteurs en Géorgie ont constaté que Trump avait accédé aux logiciels de machines de vote électronique. Je crois qu'il a prétendu que l'élection était truquée en faveur d'Hillary Clinton mais je suis sûre qu'il a dit qu'elle lui avait été volée lorsqu'il a perdu contre Joe Biden, appelant ses électaires les plus radicalisé·es à tenter un coup d'État (une révolution de droite, donc fasciste) au Capitole des États-Unis. On passera sur le fait que c'est lui qui a tenté de voler cette élection avec sa tentative de coup d'État : cette raclure inverse tout, et ce n'est pas la seule.

Chéri, ne lis pas la phrase suivante. J'ai recouvert les QR codes des affiches avec les citations de la comédie musicale Hamilton avec des stickers de Framasoft en sortant des JDLL car c'étaient des affiches du groupe La Rose Blanche, un groupe de fascistes antivax. Désolée. Mais le père Noël existe, ses lutins t'ont fait un circuit de train Brio. Le père Noël est vraiment très gentil. On a donc des personnes prétendant défendre la liberté pour manipuler des personnes mal informées, les contrôler, afin de fragiliser la démocratie et éventuellement de mettre en place un État policier, de donner les pleins pouvoirs à Marine Le Pen, etc.

Un autre exemple concerne la « cancel culture ». D'une, on est en France, donc tu parles la langue officielle, espèce de sombre merde. Le niveau d'anglais des Français·es est catastrophique, les contenus anglophones ne leur sont pas toujours accessibles et notamment pas aux plus pauvres. De deux, on n'« annule » pas des gens mais des événements. L'intoxication de nos relations sociales par les plateformes de communication promues, il y a dix ans, par les chaînes de télévision qui te paient aujourd'hui pour ta médiocrité intellectuelle ne relève même pas du dévoiement de nos revendications politiques anticapitalistes en une sémantique de la radicalité et de la pureté morale, l'antithèse, donc, de la morale en tant qu'intelligence communautaire individuelle (l'éthique étant l'intelligence communautaire collective), mais vraiment du comportement assez classique de personnes maltraitées par ces plateformes que ton employeur, je le répète, a promues avant de te promouvoir, toi. On a bien une pratique militante qui consiste à boycotter des agresseur·euses sexuel·les, mais on veut aussi pardonner, je ne sais pas comment le dire autrement, on veut nous aussi écouter Doja Cat et jouer à Cyberpunk 2077. Doja Cat a fait acte de réparation, comme DaBaby, et apparemment ça a du sens pour la communauté LGBTQIA+ donc on les remet en soirée. À l'inverse, il est ironique que des éditorialistes et chroniqueur·euses sans valeurs ni culture parlent de « cancel culture » pour étiqueter comme déviantes à peu près toutes les luttes pour le progrès, ce que vise évidemment la recherche scientifique et ce que visait également le capitalisme (dans le contexte des tutelles féodales). J'en parlerai dans un prochain billet. La première annulation proprement dite à laquelle j'ai assisté était celle des concerts de Bertrand Cantat, j'étais dans une boucle SMS pour faire annuler son concert à Grenoble. Certains actes sont impardonnables : cet homme a battu sa conjointe à mort. Il n'y a pas de retour en arrière possible. On ne ressuscite pas les mort·es. Mais le terme d'« annulation » est bien à prendre au sens littéral, au sujet d'événements : on annule des événements comme pratique militante. Aux Nuits de Fourvière, une troupe de cirque est venue il y a quelques années pour faire des black faces, la pratique de se teindre le visage en noir pour imiter des personnes noires, souvent à des fins comiques racistes. Cette pratique trouve justement ses origines dans les États du Sud des États-Unis, dans des régions, donc, esclavagistes : j'ai lu quelque part que les maîtres d'esclaves y étaient minoritaires et mal perçus (encore heureux) et j'imagine que cette pratique visait à mieux faire accepter leurs crimes. J'ai vu passer des appels à intervenir pendant l'événement. De même, le mangaka de « Love Hina » et « Negima », des séries atterrantes romantisant les agressions sexuelles entre des personnes mineures, est passé cette année à Japan Expo. Des otaku, cosplayeur·euses, etc. y ont distribué des tracts et avaient prévu de huer sa présence. Puis de partir. S'iels avaient pu le faire, iels auraient certainement fait annuler l'événement. Bah quoi, vous soutenez des pédophiles ?

L'extrême-droite met donc la gauche dans le rôle qu'elle occupe réellement, puis prétend le combattre : c'est Trump qui a truqué les élections, c'est le groupe La Rose Blanche qui veut limiter nos libertés, ce sont les médias bourgeois qui détruisent des militant·es pour des messages envoyés sur Twitter (Le Monde par exemple a consacré un encadré à un statut Facebook publié par une membre du secrétariat national de l'Unef, une personne qui, je le rappelle, est étudiante et peut donc faire des erreurs, indépendamment même de la mauvaise foi effarante de l'article en lui-même – qui était la Une du quotidien national). Mais elle prétend également incarner ce qu'elle combat en réalité : le Front National se dit proche du peuple et lorsque les député·es Les Républicains huent Olivier Véran (ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du gouvernement) alors qu'il répond à une question de Jérôme Guedj (Nupes) en le traitant de « socialiste », Marine Le Pen lance, avec son arrogance coutumière, « On va vous laisser ! ». Il ne s'agit pas de relativiser le danger du fascisme mais son imposture : dans l'extrait référencé, c'est bien Marine Le Pen qui se joint aux quolibets du groupe Les Républicains. Le nom même du Front National vient d'un groupe de résistant·es, c'est-à-dire de patriotes organisé·es pour détruire les infrastructures d'une occupation dont se réclament les sympathisant·es actuel·les de ce parti ; tentant ainsi de « dédiaboliser » une pauvre organisation terroriste ainsi personnifiée et auto-victimisée, Le Pen le renomme « Rassemblement national », alors que ce parti est justement à l'origine des tensions agitant notre pays : à la fois car le fascisme croît évidemment sur les tensions sociales qu'il entretient, mais aussi car le second tour des présidentielles n'est désormais plus que l'alliance quinquennale du fascisme et du capitalisme pour prendre nos droits, jusqu'au jour, sans doute proche, où le fruit sera mûr et où la bourgeoisie française tentera directement de le faire élire (c'est déjà plus ou moins le cas si l'on observe le temps d'audience du Front National et le temps de discussion de sujets comme le port du hijab par rapport aux enjeux qui font réellement descendre les français·es dans la rue, comme la crise climatique actuelle et la réforme des retraites (cf. à ce sujet les podcasts de jor sur les élections, notamment l'épisode 2, qui traite des médias et des éléments de langage concernant les mobilisations sociales, allant de la « prise d'otages » au « baroud d'honneur »)). Notons enfin le nom du parti d'Éric Zemmour, « Reconquête », alors que c'est bien le camp des travailleur·euses qui devrait reconquérir ce qu'il a perdu : le RMI, les retraites, l'école, bref tous les services publics en train d'être privatisés (la loi de Spica impliquant que les pays ne disposant pas de contre-pouvoirs suffisants deviennent des pays du tiers-monde). On ne peut donc pas simplement prendre Éric Zemmour pour un gros débile : c'est un politicien compétent, une ordure certes, mais parfaitement consciente de ce qu'elle fait et plus consciente, en réalité, que vous de la situation et des intérêts qu'elle peut y trouver. (De même, Bernard Cazeneuve a écrit ce passionnant rapport sur le Rwanda, que je lirai quand j'en aurai le temps : une classe politique faisant semblant d'être complètement débile a succédé à un président ayant payé son coiffeur 10,000€/mois pour le faire ressembler, à dessein, à l'être le moins crédible et charismatique du monde.)

Pourquoi l'extrême-droite fait-elle ça ? Quel intérêt y trouve-t-elle ?

Option 1 : c'est pratique. Elle sait parfaitement ce qu'elle fait, elle n'a plus qu'à dire que c'est nous qui le faisons, et inversement.

Option 2 : afin de semer le trouble. L'objectif est aussi de perdre l'électorat, qu'il ne sache plus où donner de la tête. Qu'il abandonne l'idée même de s'informer puisque la réalité martelée par les médias bourgeois entre en contradiction avec le bon sens le plus élémentaire. Un électorat désinformé est un électorat qui vote contre ses intérêts, pour les menteurs les plus séduisants, et donc pour les candidat·es de la bourgeoisie, allant du banquier à la fasciste et donc du moins au plus autoritaire, comme des consommataires mal informé·es achètent des produits vus dans des publicités sur Instagram. Bref, il suffit ensuite aux médias bourgeois de mettre en valeur des candidat·es pour que des électaires désinformé·es votent en leur faveur.

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#ExtrêmeDroite #Teneo

CW : rationalisation de la religion. La religion fait du bien à ses croyant·es lorsqu'elle est avant tout une relation d'amour entre Dieu, autrui, et soi-même. Or l'amour est un sentiment irréductiblement irrationel ; rationaliser la religion, c'est la réduire à peu de chose, pas parce qu'elle n'aurait pas de valeur propre mais parce que c'est ainsi que fonctionne l'amour.

Dans un texte publié en 1986, « L'illusion biographique », Pierre Bourdieu critique l'illusion de cohérence de nos actions dans le temps et dans les contextes dans lesquels nous nous trouvons (Bourdieu, 1986). Ce texte est parfois réduit à ses recommandations méthodologiques, qui ne sont alors que des exemples à destination des sociologues : il est bien plus que ça, il dévoile le principe fondamental des oppressions systémiques, qu'elles soient fondées sur l'assignation nominale étatique ou sur notre croyance en cette dernière. Ainsi deux exemples me viennent-ils en tête : le CV et le casier judiciaire. Ces deux dispositifs naturalisent cette illusion de cohérence, au point qu'un casier judiciaire n'expire pas ; un crime, même innocenté par la suite, peut ainsi empêcher un·e ingénieur·e de trouver du travail, pour toute sa vie.

À Lyon, lors des élections législatives de 2022, a été présentée une liste de candidat·es favorables à une société post-monétaire. Mais la monnaie est elle-même assignée à des noms propres, qui sont assignés administrativement et par l'État à des personnes. Le souhait d'une société dont les ressources aillent « de chacun·e selon ses capacités à chacun·e selon ses besoins » doit d'abord mettre à bas le principe même d'allocation inégalitaire et injuste de ressources auquel est intégralement dévoué celui d'assignation nominale.

On retrouve ainsi les noms propres sur les comptes bancaires, sur les factures, sur les casiers judiciaires, sur les CV, sur les contrats… In fine, tout document administratif où figure un nom propre représente une administration, qui n'est alors qu'un rouage du système à abattre.

L'assignation nominale peut par ailleurs être étendue à des communautés : on présume ainsi une cohérence des comportements des individus selon leur appartenance à des communautés (réelles ou inventées) dans le temps et dans les contextes où ils se trouvent, et on retrouve sans surprise des présomptions associées aux principes de casier judiciaire et de CV : ainsi, les habitant·es des quartiers construits pour l'immigration ouvrière algérienne sont présumé·es (et parfois directement désigné·es comme) « délinquant·es » ; leur discrimination à l'embauche commence avec les premières remarques de l'entourage et donc parfois avant même leur fécondation (Le Seum, 2018). Ainsi la délinquance de Nahel fut-elle présumée et acceptée pour justifier son assassinat par un policier alors qu'il tentait de fuir le policier sans avoir commis de délit (la vidéo de son assassinat montre que le policier lui parlait avant qu'il ne tente de fuir, puis a montré le policier lui tirer dessus, à travers la fenêtre de son véhicule à l'arrêt, et à bout portant – le jeune français n'avait pas fait un mètre, ce qui implique par ailleurs que le policier avait dégainé son arme avant qu'il n'écrase l'accélérateur).

C'est à travers l'assignation nominale que l'illusion biographique permet à l'état et au capitalisme de tou·tes nous maltraiter : car c'est avant tout une arnaque économique planétaire, fondée sur l'imposition de formes de travail, de cadences, de surveillance à des êtres humains sous peine de mourir (l'espérance de vie d'un·e mal-logé·e était, il y a peu, de 53 ans), et donc, impliquant des institutions et une relation prolongée entre l'escroc et ses victimes, de la maltraitance, phénomène systématique selon que l'on étudie les violences intra-familiales, le harcèlement au travail, la maltraitance numérique, la racialisation comme assignation d'individus à des formes de travail pénibles et mal rémunérées (survivance de l'esclavage), etc. Mais plus encore, l'assignation nominale fait projeter l'espoir d'une élection des enfants en les faisant accéder à de grandes écoles, reproduisant l'espoir d'une élection des bon·nes croyant·es au Paradis, en d'autres termes, à travers les enfants ou le jugement dernier, d'une vie après la mort. C'est de ce point de vue qu'il faut expliquer le succès du marketing d'Apple, dont les appareils stimulent les régions du cerveau stimulées par la religion, et réconfortent leurs utilisataires – notamment lorsqu'ils sont transmis par des parents avec lesquels les relations sont associées à une forme de maltraitance, intrafamiliale, scolaire, ou encore concernant les finances de la famille – : Bourdieu a démontré que l'accès aux grandes écoles, et donc cet espoir d'élection, était inégalitaire ; le marketing d'Apple, comme la religion, mettent ou prétendre mettre leurs croyant·es sur la même ligne de départ. L'accès aux grandes écoles, mais aussi la possession de matériel Apple ou la religion, peuvent ainsi nous débarrasser de notre sentiment de responsabilité pour ne pas avoir échappé à la maltraitance de classe, au réseau de relations monétaires ou surdéterminées par la monnaie à travers lesquelles des hommes s'approprient la force de travail de leurs conjointes, des patrons s'approprient celle de leurs employé·es, etc. Cette maltraitance de classe passe avant tout par une forme ou une autre d'assignation nominale et donc d'illusion biographique, on pourrait même dire que c'est leur fonction première : produire et reproduire une société antagoniste d'élu·es et, inversement, de damné·es.

Pour toutes ces raisons, il importe – en plus de se syndiquer, de décroître, et de favoriser la consommation chez des coopératives – de déconstruire l'illusion biographique. Il importe aussi de défendre, lire, et faciliter l'accès à la sociologie, qui démontre progressivement l'absurdité d'une telle construction juridique (et donc pseudoscientifique). Des résistances de plus en plus fortes sont mises en place contre la sociologie, justement car elle ferait voler en éclat le dévoiement de l'État de droit (puis de l'État social) en État administratif.

Références

Bourdieu P., 1986, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, 62, 1, p. 69‑72. Le Seum C., 2018, « Car personne ne nous a invité·es ».

19/100 #HundredDaysToOffload 100DaysToOffload.com

Quand j'étais petite ma mère a réfréné son attrait pour la télévision, puis on a commencé à la regarder tous les soirs quand j'étais adolescente. Je me définissais alors comme une « téléspectatrice passive », en référence au tabagisme. Un souci avec la télévision est que les programmes, même familiaux, ne sont faits que par des adultes, pour des adultes, ce qui efface les personnes mineures en tant que consommataires de médias. Or, pour de nombreuses personnes, les médias bourgeois seraient le pilier de la démocratie. Ce phénomène parmi d'autres nous amène à ignorer, y compris dans des milieux militants, les enjeux des personnes mineures, comme s'ils n'étaient pas d'intérêt public. On y retrouve la constitution de la gauche comme groupe objectif de travailleurs blancs, auto-défini par son partage de mêmes sensibilités politiques – bien que cette définition soit en cours de féminisation – et donc de personnes blanches majeures et valides. Si la gauche est un groupe de solidarité entre travailleurs, qui oserait faire entrer des adolescent·es ou des écolièr·es dans cette catégorie ? Je pense cependant qu'un intérêt pour leurs enjeux est essentiel pour notre camp social : à la fois par principe, au nom de nos valeurs, mais aussi car nous pouvons y trouver une victoire sémantique capitale, notamment dans le contexte actuel.

Le capitalisme n'est qu'une arnaque, une manière de s'approprier la force de travail ou, autrement dit, le temps, l'énergie, et les vies des travailleur·euses, passant par les plus « hautes » institutions, assurant donc une relation pérenne entre les escrocs et leurs victimes : c'est donc de la maltraitance. C'est un problème majeur avec le capitalisme : les problèmes de santé qu'il crée sur les travailleur·euses dont il vole littéralement les vies et les trajectoires de vies, mais dont il déforme aussi les corps ; le définancement des services publics qu'il induit, de la santé aux écoles, en passant par les allocations familiales, maltraitent les pauvres, les travailleur·euses, les parents. Mais qu'en est-il des enfants ?

Considérons les principes directifs d'institutions suivants : le marché, les technologies, les normes, et la loi (Lessig, 1999). On pourrait dire que les logiciels et plus généralement les machines seraient des institutions, car ils seraient une forme de technologie. De même, les services publics sont réglementés par la loi ; le mariage et la famille, quant à eux, sont désormais, en France, surtout tributaires des normes sociales (il est parfaitement légal et de plus en plus normal de vivre en relation polyamoureuse ou de former un polycule). Le travail, quant à lui, dépend principalement du marché – lui-même encadré par la loi. Or, quand un parent voit ses allocations familiales réduites ou supprimées, ou lorsque le temps de travail hebdomadaire est augmenté, quelles sont les premières victimes ? Que faire de la prédation (réussie) des enfants par l'industrie du sucre, à travers les goûters, les sucreries, les bonbons, les desserts ? Si une mère prend un paquet de bonbons des mains de son enfant un vendredi soir dans un hypermarché bondé, en lui intimant de se taire s'il veut qu'elle l'achète, c'est de la maltraitance, mais peut-on considérer que cette pauvre mère sort du travail, et est allé chercher ses enfants à la crèche (en voiture, parce que c'est une mauvaise citoyenne), avant d'aller faire les courses, en espérant tenir, avoir l'énergie de leur faire un repas en rentrant à 8h du soir, faire un peu de ménage, puis les coucher, avant de s'effondrer épuisée ? Peut-on faire comme si le contrat de travail de cette femme, son salaire horaire, la pénibilité de son travail en lui-même, ses horaires, dépendant eux-mêmes de ses allocations familiales, du service public local, de services de garderie à l'école (et donc de son financement), ainsi éventuellement que la maltraitance numérique, qui peut amener des parents à mettre Candy Crush dans les mains d'enfants ne sachant pas encore parler – peut-on ignorer l'impact que cette maltraitance aura en particulier sur les enfants ? En nous intéressant aux personnes mineures, en nous investissant dans leurs luttes, ne peut-on pas construire un discours amenant à les protéger du capitalisme, et donc de la maltraitance scolaire et familiale, c'est-à-dire notamment de la maltraitance économique de leurs familles ?

Nous avons donc beaucoup à gagner en nous attachant à jouer nos rôles d'adultes et à protéger les enfants, les adolescent·es, les personnes mineures du capitalisme d'État (comme on devrait le faire contre la présidence EELV de la métropole lyonnaise).

18/100 #HundredDaysToOffload 100DaysToOffload.com

Avant même son élection à la présidence du Grand Lyon, le parti politique EELV montait au créneau contre la gratuité des transports en commun. C'est pourtant une vieille lutte sociale, contre la gentrification, la pollution, et pour la mobilité. Il ne s'agit pas de prétendre que personne n'aurait réellement besoin de l'automobile, ni même que ce besoin ne concernerait pas des pans entiers de la société – besoin auquel il faudrait s'attaquer autrement qu'en « contraignant l'automobile » ou en établissant des ZFE –, mais que le coût des transports en commun représente un frein et, lorsqu'il n'est pas strictement supérieur à celui de l'automobile, une incitation à rouler dans des conditions honnêtement moins stressantes et plus confortables. L'argument avancé est que la gratuité sélective serait en réalité plus solidaire que la gratuité totale pour deux raisons : premièrement car les entreprises paient la moitié de l'abonnement de leurs salarié·es, tandis qu'EELV voterait (et a voté) la gratuité ou un tarif réduit pour 200 000 personnes, chômeur·euses, bénéficiaires du RSA, étudiant·es, allocataires de l'AAH, etc. Deuxièmement car la gratuité universelle représenterait une réduction de 9€ aux allocataires du RSA pour 65€ aux salarié·es qui, soulignent les autaires, peuvent être des cadres (jor nous rappelle qu'iels représentent 9 % de la population française). Cela revient évidemment à gommer une masse salariale vulnérabilisée, composée en majorité d'employé·es et d'ouvrièr·es rémunéré·es au Smig, lorsqu'iels ont la chance d'être déclaré·es ; rappelons par ailleurs que la moitié des français·es ont moins de 100€ sur leurs comptes bancaires le 10 du mois. Évidemment, ces arguments mensongers – avancés par deux inconnu·es appelant Lyon « la capitale des gaules », l'expression correcte étant « des trois Gaules », avec une majuscule, je le savais lorsque j'avais 6 ans – reposent sur l'ignorance du fait que les impôts sont un principe de solidarité. C'est le principe du financement du service public, des écoles, de la recherche, des bibliothèques, des garderies, etc. Je n'arrive donc pas à croire que ce parti ait été élu face à une coalition de gauche, promettant la gratuité des transports.

Pour le plaisir, peut-on souligner la mauvaise foi des autaires, qui les pousse à ne citer que les arguments les plus fragiles de candidat·es de gauche, perçu·es comme concurrent·es, ce qui en dit long sur le positionnement politique de ce parti de garage ?

Lors du débat de France 3 Rhône-Alpes, Nathalie Perrin-Gilbert a affirmé qu’​« un anneau des sciences qui n’est pas fait, c’est 10 années de gratuité des transports en commun ».

L’argument est étonnant, car une des principales critiques émises contre ce projet est qu’il n’est absolument pas financé. La gratuité ne l’est donc pas davantage. La promettre sans présenter de solution de financement crédible fait de la gratuité des TCL un exemple de mesures proposées à des fins électoralistes.

Quid d'une foule d'arguments en faveur de la gratuité des transports en commun, allant du bon sens – les contrôles des titres de transport sont une pratique abjecte, intensifiée lors des fêtes familiales car l'amour est l'acceptation pour son principe même de sa vulnérabilité envers autrui comme moteur d'action, évoquant donc les violences psychologiques par lesquelles des parents font associer et font comprendre l'association volontaire de leur violence à l'amour et donc à la vulnérabilité consentie que leur enfant est censé éprouver – à des travaux scientifiques publiés dans des revues à comité de lecture faisant autorité, et donc validés par des pairs ?

Pour de nombreux·ses étudiant·es, l'automobile reste un mode de transport plus économique que les transports en commun, les postes de dépenses principaux étant alors de payer son loyer et de faire ses courses, la « précarité étudiante » intégrant, d'une manière qui peut paraître, et à tort, futile, l'inaccessibilité économique des soirées étudiantes, l'intégration au sein d'une promotion étant évidemment associée au soutien psychologique dont peuvent bénéficier les étudiant·es et donc à leur réussite. Prendre le bus par principe serait alors à peu près aussi stupide qu'utiliser Linux et boycotter Google Drive, tout l'enjeu de cette période étant de réussir ses études. De même, ce sont notamment les français·es les plus pauvres que l'on voit se rendre au travail en voiture, à la fois car leurs tâches sont pénibles (et donc qu'iels n'ont pas l'énergie d'un cadre se gargarisant sur son vélotaff) et aussi car économiser de l'argent en prenant la voiture leur permet de préserver – autant que possible – leur santé mentale, en d'autres termes car leur santé en dépend, un cas de burnout domestique, notamment chez les français·es les plus démuni·es en capital culturel et donc les moins capables de faire valoir leurs droits mais aussi par manque de droits associés au travail domestique, en particulier chez les chômeur·euses et surtout dans les cas de « chômage structurel », pouvant ne pas être suffisamment pris en charge (avec des conséquences dramatiques pour ces malades).

Il va sans dire que « contraindre l'automobile » de manière égale et plus encore lorsque cela revient à surpénaliser les pauvres n'est pas une solution pérenne, sans parler de justice sociale et climatique. A fortiori, faire campagne contre la gratuité des transports en commun avec des arguments mensongers, sans doute simplement afin de mener une carrière politique de parasite, peut-être afin d'éviter une hausse des impôts et donc de froisser un bassin d'emploi de complaisance, ne peut qu'aggraver les problèmes de pollution urbaine mais aussi contraindre les plus pauvres d'entre nous à acheter de l'essence au groupe Total, et donc à encourager des alliances politiques entre la France et des tyrans, à fermer les yeux sur des ventes d'armes à l'Arabie saoudite, etc. Il me semble enfin que mieux un quartier est desservi par les transports en commun, moins ses habitant·es prennent la voiture, que c'est un fait connu en urbanisme ; évidemment, plus un quartier est pauvre, plus le prix des transports en commun dégradera leur accessibilité, et augmentera donc mécaniquement l'usage de l'automobile. Quand le sage montre un déséquilibre dans le compromis utopiste entre salariat et patronat sur lequel est fondée notre confiance en l'État (Castel, 1995), l'idiot regarde les pauvres.

Références

Castel R., 1995, Les métamorphoses de la question sociale. une chronique du salariat, Paris, Fayard (L’espace du politique), 490 p.

17/100 #HundredDaysToOffload 100DaysToOffload.com

Dans « Un dialogue décolonial sur les savoirs critiques entre Frantz Fanon et Boaventura de Sousa Santos » (Grosfoguel et Cohen, 2012), Ramón Grosfoguel écrit : « (…) tandis que les travailleurs dans la zone de non-être, qui gagnent des salaires très bas et travaillent 10 ou 14 heures par jour, risquent leur vie lorsqu’ils tentent d’organiser un syndicat, les travailleurs de la zone de l’être jouissent de droits sociaux, de salaires élevés et de meilleures conditions de travail. Si un ouvrier dans une usine de montage de Ciudad Juárez, gagnant 2 dollars par jour, est formellement un travailleur salarié, son expérience vécue n’a rien à voir avec celle d’un ouvrier salarié chez Boeing à Seattle qui gagne 100 dollars de l’heure. Les femmes et les gays/lesbiennes occidentaux jouissent d’un accès à des ressources, des richesses, des droits et du pouvoir autrement plus importants que les femmes ou gays/lesbiennes dans la zone de non-être. En dépit de l’oppression de genre dans la zone de l’être, les femmes occidentales, qui constituent une minorité démographique dans le monde, ont plus de pouvoir, de ressources et de richesses que la majorité des hommes d’origine non occidentale et vivant dans la zone de non-être. Dans l’ordre impérial occidentalo-centrique, l’« autre » dans la zone de l’être n’est pas la même chose que l’autre dans la zone de non-être. »

Tout l'article est intéressant à lire et il ne fait que 13 pages, vous avez le lien de téléchargement dans la bibliographie, n'hésitez pas à l'imprimer et à le lire ! (Tou·tes les étudiant·es commencent à lire des articles en les imprimant, et j'imprime même des brouillons de mon blog, lorsqu'ils sont un peu complexes, pour pouvoir prendre du recul et mieux les relire.) On voit ainsi que le racisme omniprésent lorsque l'on pense aux conditions de fabrication des iPhone est tellement pratique pour des entreprises comme Apple – je mentionne celle-ci car ses ouvrièr·es délocalisé·es, salarié·es de la Foxconn, ne reçoivent pas de salaire secondaire, leurs cadences sont passées de 2500 iPhone 4S par jour (par unité de 87 ouvrièr·es) à 5000 iPhone 5 par jour, 16 % d'entre elleux avaient perdu connaissance sur leur lieu de travail en 2014 et 18 % y avaient subi des châtiments corporels. Apple traite ses ouvrièr·es délocalisé·es de manière monstrueuse, non seulement en tolérant de telles conditions de travail, mais sans doute aussi car Steve Jobs y ait encouragé ses interlocuteurs (on savait déjà que c'était un fumier, rien de nouveau sous le soleil) ; mais comme ce sont des salarié·es chinois·es, délocalisé·es, en un mot racisé·es, qu'un ouvrier se soit suicidé après avoir été battu par des vigiles sur des soupçons de vol d'un prototype d'iPhone 4, dont chaque modèle a désormais à peu près la valeur d'un disque dur cassé (alors que des salarié·es de STMicroelectronics confirment anonymement à des journaux locaux que leur entreprise fabrique les caméras des iPhone et ne craignent qu'un licenciement), ne choque pas et peut même être défendu par leurs clientèles, des classes moyennes (blanches ou non) aux classes les plus dotées en capital économique, cadres, professions libérales, etc.

La délocalisation a donc pour double avantage de pouvoir bénéficier de devises dévaluées (par l'impérialisme occidental), mais aussi de notre complicité avec nos propres milliardaires du traitement raciste et inhumain d'ouvrièr·es délocalisé·es, et donc de notre propre oppression, notamment car le fascisme (qui est en train de nous tomber dessus) n'est pas très différent de ce que vivent déjà les travailleur·euses délocalisé·es.

Références

Grosfoguel R., Cohen J., 2012, « Un dialogue décolonial sur les savoirs critiques entre Frantz Fanon et Boaventura de Sousa Santos », Mouvements, 72, 4, p. 42.

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