Les Gafams sont une force contre-révolutionnaire

L'internet permet aux 99 % de coopérer intellectuellement et économiquement, ce qui favorise le développement des coopératives. Le développement de coopératives autogestionnaires correspond à l'une des trois branches de l'anarchisme : il y a l'anarchisme insurrectionnel, l'anarcho-syndicalisme, et l'anarchisme souterrain, visant à détruire le capitalisme en exploitant ses propres contradictions. Par exemple, Bonfire Networks fournit une option d'auto-hébergement via Abra, un outil développé par une organisation cofondée par le collectif Anarchy Rules!, ainsi que par une coopérative d'agriculture bio, une fondation culturelle européenne, etc.

C'est donc un catalyseur du développement des coopératives. Or les coopératives représentent un dépassement de la relation dialectique entre salarié·es et capitalistes puisque les salarié·es sont également des entrepreneur·euses : ce sont elleux qui prennent les décisions dans leurs entreprises. Les salarié·es co-détiennent les coopératives en achetant des parts sociales, qu'iels ne peuvent pas revendre, et qui ne peuvent pas représenter une valeur supérieure à celle de leur achat ; l'objectif n'est alors plus d'« optimiser » les patrimoines et donc de maximiser les rentes mais simplement de travailler ; la coopérative ne devrait donc pas croître au-delà de sa vocation sociale – travailler pour un secteur donné, le quartier, la collectivité, un marché donné, etc. – puisqu'une telle croissance ne donnerait lieu qu'à de nouvelles embauches. Les coopératives sont donc notamment un enjeu environnemental puisqu'elles permettent de limiter la « croissance exponentielle » en laquelle croient les économistes néolibéraux. L'internet est donc un enjeu environnemental.

Or l'ordinateur sur lequel je tape ce document pourrait bien disparaître à terme. Les minerais rares dont on a besoin pour fabriquer les ordinateurs ou l'infrastructure de l'internet seront épuisés. Et c'est de la faute des Gafams. Cette destruction planifiée est équivalente à une destruction planifiée de l'imprimerie, qui fut nécessaire à la transmission des idées des Lumières et au journalisme : c'est donc un projet politique contre-révolutionnaire.

Google est ainsi une force d'obsolescence de l'internet particulièrement discrète et qu'il me semble donc particulièrement important d'examiner. Android nous incite à jeter des téléphones parfaitement fonctionnels en augmentant par exemple les ressources système consommées par les applications développées à travers le kit de développement logiciel (SDK) qu'elle fournit : ainsi des téléphones vendus en 2015 sont-ils désormais inutilisables car ils ne peuvent plus exécuter suffisamment d'applications en même temps, ce qui en amène les utilisataires à conclure à des « pannes » matérielles.

De même Google a-t-elle poussé pour l'exécution de programmes à travers le web, ce qui crée évidemment des dynamiques de dépendance envers les serveurs fournissant le code à exécuter, mais qui contribue aussi largement à l'obsolescence de nos machines : pas parce que les développeur·euses auraient la flemme de développer des applications optimisées mais parce que ces personnes travaillent dans des conditions précaires et que leurs patrons les paient pour implémenter des fonctionnalités le plus vite possible, indépendamment de toute optimisation. L'essentiel est que les sites web tournent là où tourne Windows. Sur un modèle de protocole ouvert, il serait possible de développer des interfaces libres utilisables sur des ordinateurs plus anciens, mais le web nous impose une interface pour accéder à des informations, et donc par exemple pour faire ses démarches administratives, qu'il est désormais impossible de faire sans exécuter de code Javascript. De la sorte, il est possible de faire sous Linux tout ce que l'on pouvait faire sous Windows dans les années 2000 – écrire des documents, écouter de la musique, discuter avec ses ami·es… –, tout à l'exception de la navigation sur le web.

Or l'achat d'ordinateurs de plus en plus puissants, servant d'excuse à des sites web de plus en plus consommateurs de ressources, est avant tout dû à l'obsolescence (programmée ?) du système d'exploitation Windows, faisant lui aussi croire à des pannes matérielles : ma mère avait un ordinateur acheté en 2008, de plus en plus lent ; vers sa « fin de vie » il mettait environ 10 minutes à lancer une session de navigateur, et il arrivait que l'horloge de la barre des tâches ne soit pas mise à jour pendant plus d'une minute. Un jour, en 2022, son bureau avait tout bonnement disparu, et elle ne pouvait plus travailler, j'ai donc installé Fedora sur une clé USB pour voir si c'était un problème logiciel ou matériel : l'ordinateur était alors parfaitement fonctionnel, et avait lancé Firefox en quelques secondes. Ma mère, qui avait tenté de faire durer son ordinateur le plus longtemps possible, sur un unique disque dur et sans faire de sauvegardes, n'a pas voulu installer Linux dessus et s'en est débarrassée.

Peut-être sa vieille architecture n'était-elle simplement plus soutenue commercialement par Windows, logiciel propriétaire, prouvant donc la nécessité de systèmes d'exploitation libres et collaboratifs pour une informatique pérenne. Peut-être Microsoft dégrade-t-elle volontairement les performances du vieux matériel pour inciter ses utilisataires à acheter de nouveaux ordinateurs et donc de nouvelles licences OEM (vente liée de licences Windows avec des ordinateurs Asus, HP, Lenovo…). Mais que ce soit pour des raisons techniques ou économiques, Microsoft est une menace pour l'informatique.1

À ma connaissance, l'augmentation en puissance des ordinateurs répond à deux usages : l'exécution de logiciels professionnels (comme Photoshop) et les jeux vidéo. Lorsqu'un ordinateur grand public peut exécuter ces programmes, mais qu'ils ne sont compatibles qu'avec Windows, il incombe aux salarié·es et aux employeur·es de contribuer à des alternatives libres et, lorsqu'elles sont suffisamment matures, de les (faire) adopter ; lorsqu'ils nécessitent une grande puissance de calcul, de tels ordinateurs doivent rester dans les locaux de l'entreprise, il ne saurait être question d'en inciter les salarié·es à la surconsommation numérique ; les jeux vidéo quant à eux restent un phénomène minoritaire, une excuse pour la destruction d'ordinateurs parfaitement fonctionnels. Qualifiez-moi d'optimiste, mais je pense que si je disais à une habitant·e de mon quartier, dans le cours d'une conversation, qu'iel pourrait installer Fedora ou Linux Mint pour sauver l'internet et donc la Troisième Révolution industrielle, mettant ainsi fin au capitalisme de manière non-violente et à la menace environnementale qu'il représente pour l'espèce humaine, pérennisant par ailleurs l'exploration spatiale, iel y manifesterait un certain intérêt. L'usage de Syncthing permet de sauvegarder tous ses fichiers personnels automatiquement, sans fil, en continu, sur son propre matériel, et donc de pouvoir tester GNU/Linux pendant quelques jours ou quelques semaines, avant de revenir sous Windows si on en a besoin.

Enfin, il va sans dire que Facebook joue un rôle dans la destruction de l'internet puisque son modèle le représente pour de nombreux·ses utilisataires : non seulement en ouvrir un onglet implique-t-il le téléchargement de 40 Mo de données, soit un millier de fois cette page web, mais pour ces dernièr·es, l'internet équivaut à « 5 sites web, qui contiennent des captures d'écran des quatre autres ». Or le web est un ensemble interconnecté de documents et certains le sont plus que d'autres, ce dicton ne désignant alors que le web capitaliste, à distinguer du web social (Mastodon, les coopératives) et de l'internet des hackers (majoritairement anglophone, par exemple des tildes). Étant à l'internet ce que les éditions Bayard sont à l'imprimerie, mais également pour de nombreuses personnes à peu près tout ce que l'internet a à offrir, Facebook le dégrade en le faisant passer pour une futilité, si ce n'est pour une nuisance.

Afin de permettre une sortie non-violente et pérenne du capitalisme, et donc afin de garder une planète habitable et d'assurer la pérennité de l'exploration spatiale, avant l'épuisement des matériaux dont elle a besoin, nous devons préserver l'internet. Cela passe par une sortie d'Android, notamment en contribuant (techniquement ou financièrement) à Ubuntu Touch, ainsi que par une sortie des réseaux socio-capitalistes (en se créant un compte Mastodon ou Bonfire) et de Windows (en installant Linux dans la mesure du possible).

1 Dois-je vraiment argumenter l'obsolescence programmée des appareils de marque Apple ? Les batteries des iPhone ne sont pas remplaçables, et lorsqu'il fut prouvé que cette entreprise ralentissait les processeurs en fonction de leur dégradation, elle répondit que c'était pour les préserver. Il y a vraiment le fait de prendre ses responsabilités envers son entourage ou envers son employeur et le fait de prendre ses responsabilités en tant que patron, cadre à des fonctions de direction, actionnaire d'une multinationale envers ses client·es. Concrètement, l'obsolescence programmée chez Apple, c'est appuyer deux fois sur le bouton d'accueil pour ouvrir le multitâche, ne pas avoir de réaction, appuyer dessus une troisième fois pour revenir à l'écran d'accueil, puis voir à quelques secondes d'intervalle l'application se fermer, le dossier auquel elle appartient se fermer, et l'écran revenir au premier « pan » de l'écran d'accueil (on passera sur le fait que cette entreprise a breveté le fait de paginer horizontalement et dans une interface graphique ce qu'Emacs fait verticalement et dans une interface textuelle depuis les années 70, il n'y a pas d'innovation de ce côté-là).

Ce billet est le deuxième du défi #100DaysToOffload.