Le microblog accentue les inégalités sociales face au travail
Le mot « microblog » est souvent compris comme un terme marketing dissimulant la nature d'un service web n'étant en réalité qu'une régie publicitaire. On doit donc le définir pour en dire quelque chose.
Le terme « microblog » peut renvoyer à twtxt, un service de formattage d'un fichier texte où chaque message représente exactement une ligne. Le fichier texte est ensuite partagé quelque part sur l'internet (gopher, gemini, le web).
Il peut également renvoyer à micro.blog, un service de blogs et de microblogs propriétaire fédérant avec d'autres services via l'IndieWeb. Je ne l'ai pas testé mais il me semble avoir une bonne réputation.
La forme de microblog la plus connue reste Twitter, et après elle, Mastodon. Ce qui me dérange le plus avec ces services est qu'ils envoient des notifications quand d'autres utilisateur·ices partagent ou « likent » nos messages. Même si dans certains usages on peut « liker » quelqu'un sans avoir l'énergie de lui répondre qu'on aime son message avec des mots, concernant la réponse à une publication partagée à un ensemble assez vague d'abonné·es, surtout dans le cas que je présenterai aujourd'hui, cet usage me paraît antagoniste avec la poursuite d'études, notamment lorsque l'on vient de milieux populaires.
Je ne présume pas que le handicap de personnes « likant » un message par manque d'énergie/de cuillères se recouperait avec des situations d'échec, c'est notamment le rôle des aides à l'autonomie ; en revanche je pense que cet usage est minoritaire par rapport aux difficultés scolaires créées aux enfants des milieux populaires comme à d'autres élèves fragiles psychiquement, voire handicapé·es. Je suis persuadée, et je tenterai plus tard de le développer de manière plus convainquante, que les réseaux sociaux défont tout ce que l'école tente de faire. Ils font bien baisser le niveau scolaire, leur nature prédatrice, donc d'identification et de ciblage, mais encore de vulnérabilisation de populations plus ou moins massivement vulnérables, en étant une cause essentielle (sur la vulnérabilité de masse, cf. Castel, « Les métamorphoses de la question sociale », 1995).
L'idée essentielle la voici : les notifications pour des « likes » et des partages sont une forme de commentaires parasites ; or les commentaires parasites sont une forme de manipulation (plus ou moins consciente). Plus on y accorde de crédit, plus le modèle général nous échappe, qu'il s'agisse de notre comportement, d'une pratique artistique quelconque, ou de telle analyse sociologique (professionnelle ou amatrice). Ces commentaires parasites sont donc une technique de manipulation et de domination visant à nous maintenir dans une sorte de minorité cognitive et pratique (que les pratiques diminuées soient liées à des activités créatives ou à la vie domestique).
Mais ce mode de commentaire répond souvent lui-même, inconsciemment, à une situation d'échec. Il peut être chargé de la jalousie infantile de voir un instrument populaire autant apprécié, dans une école bourgeoise, que la pratique d'un instrument bourgeois résultant de nombreuses répétitions, mais il s'agit alors toujours d'un sentiment subjectif d'échec. Par ailleurs le microblog (mais les groupes Facebook remplissent bien cette fonction) peut être une réponse facile à des situations d'échec qui peuvent parfois n'y avoir rien à voir, il peut alors s'agir d'un sentiment de fatigue ou de difficultés à gérer son sommeil, etc. Les notifications parasites (« likes », partages, etc.) et les usages du microblog visant à en obtenir en réaction à une situation d'échec ont également en commun d'être basés sur peu ou quasiment rien : je crois vraiment que la plupart des utilisateur·ices d'ActivityPub (le protocole de fédération de Mastodon) font généralement beaucoup avec peu, et notamment du neuf avec du vieux. Ces personnes ne sont pas seulement en situation d'échec, elles sont maintenues en situation d'échec par le protocole ActivityPub, qui permet, contrairement au protocole Diaspora*, ce que j'appelle faute de mieux une surstimulation, un bombardement de nos sens, en l'occurrence par la possibilité de liker chaque message et chaque commentaire, et donc l'attente de voir au moins quelques messages likés/partagés à chaque reconnexion (si ce n'est pas le cas, il s'agirait de les obtenir ex nihilo, en faisant des commentaires parasites sur n'importe quel sujet).
Les notifications pour des « likes » et des partages sont donc de même nature que les messages que l'on publie pour les obtenir. Dans tous les cas, ce sont des contenus « pathogènes », ou pour le dire autrement générateurs de dispositions qui ne peuvent qu'être nocives (à moins de développer des stratégies pour lutter contre). S'abonner à des comptes par une sorte de devoir de loyauté politique ou amicale, c'est donc accepter leurs normes sociales soit pour le dire autrement tenter de publier comme leurs propriétaires et donc se contenter de situations d'échec.
La moindre des choses serait de ne pas dépendre du microblog pour répondre à des besoins, qu'il s'agisse de socialiser ou de structurer ses idées : on a IRC et XMPP, voire Discord pour ce premier usage, et Emacs, org-roam, Denote, Logseq pour le second. Car il va de soi que si l'on en dépend pour des tâches quotidiennes, alors on sera amené·e à s'en servir presque par devoir et donc à s'exposer à des situations d'échec. C'est une démonstration un peu abstraite et j'ai moi-même eu le plaisir de découvrir certains aspects ne me concernant pas personnellement, mais j'ai parlé avec de nombreuses personnes ayant comme moi le sentiment de réussir malgré le microblog et mes difficultés se sont débloquées par paliers à chaque fois que j'essayais de nouveaux outils. À leur lumière, il convient d'examiner son usage du microblog et de savoir s'il nous sert réellement à quelque chose.
Tildeverse Tilde.Chat Un bouncer à prix libre
Logseq Org-mode Planet Emacslife
Comme je l'ai dit, les jeunes de milieux populaires et handicapé·es sont déjà mis·es en échec par l'Éducation nationale. Je caresse le maigre espoir de la création d'un organe centralisé à même de résoudre ce problème connu depuis les années 60, mais ce que j'essaie de démontrer est que l'usage du microblog pour répondre à une situation d'échec non seulement l'accentue, mais la rend acceptable, « suffisamment satisfaisante » pour l'utilisateur·ice. Cela fait partie d'un ensemble de dispositifs, comme le fait de devoir cliquer sur une image (tronquée verticalement) pour l'afficher en entier, qui comme par hasard aggravent les dépressions et peuvent y faire plonger des personnes déjà vulnérables. Pour toutes ces raisons, défendre les notifications parasites car on a lu quelqu'un un jour dire qu'ielle s'en servait car ielle n'avait pas l'énergie d'écrire une réponse est hypocrite et revient à peu près à défendre le travail des enfants car « au moins ielles ont quelque chose à manger » – dans les deux cas, on peut envisager que cette personne n'a pas l'énergie de répondre notamment car elle utilise un microblog, de même que ces enfants ont besoin de travailler pour survivre notamment parce que le capitalisme ne leur laisse pas d'autre choix que de travailler pour se nourrir.
En bref, le microblog, c'est-à-dire dans l'optique de ce billet les notifications parasites, accentue les inégalités sociales face au travail, ou pour le dire autrement augmente le taux d'échec (déjà endémique) des enfants des milieux populaires à l'école.